Glossaire minimal de sémantique interprétative
(tel que l'a requis l'exposé)

Actualisation : opération interprétative permettant d’identifier un sème en contexte.

Assimilation : actualisation d’un sème par présomption d’isosémie.

Exemple : le contexte du tour de France cycliste évite l’assmilation entre les sémèmes ‘tripes’ et ‘boyaux’, pourtant parasynonymes hors contexte sur des registres différents, dans cette exclamation lancée lors de l’arrivée de l’étape du 28/07/98 : L’allemand a gagné avec ses tripes en l’emportant d’un boyau sur l’italien. Aucun des deux n’est alors inclus dans sa classe d’origine //anatomie//, mais se réécrit ‘tripes’ <‘ferme volonté’> et ‘boyau’ <‘roue’>, soit l’opposition macro-générique /spirituel/ vs /matériel/ (‘boyau’ perd le sème /animé/ qu’aurait pu lui propager par assimilation ‘tripes’, élément vital du sportif…)

Classes sémantiques (Notation : //classe//) : trois types de classes :

Cohérence (concept non sollicité pour l’étude des segments) : unité d’une suite linguistique, définie par ses relations avec son entour.

Cohésion : unité d’une suite linguistique, définie par ses relations sémantiques internes.

Composantes (quatre) : instances systématiques qui règlent la production et l’interprétation des suites linguistiques.
- La thématique étudie les contenus investis et leurs structures paradigmatiques. On peut dire qu’elle traite du " vocabulaire " textuel. Les unités qu’elle décrit sont notamment les molécules sémiques et les faisceaux d’isosémies.
- La dialectique étudie la transformation des contenus selon les intervalles temporels successifs (T1, T2…) inférés du texte. En abordant les modifications temporalisées des groupements sémiques qui les affectent, on touche à un processus ressortissant à la dialectique moléculaire.
- La dialogique traite la modalisation des unités sémantiques et de l’énonciation représentée.
- La tactique, enfin, étudie la disposition linéaire des unités sémantiques (elle recouvre les phénomènes de collocation lexicale).

Connexion : relation entre deux sémèmes appartenant à deux isosémies génériques différentes. Deux types de connexion :

Corrélat : un mot cooccurrent (d’un mot-vedette) pour lequel on aura identifié une relation sémantique sera considéré comme un corrélat, c’est-à-dire comme une lexicalisation complémentaire de la même molécule sémique.

Dissimilation : actualisation de sèmes afférents opposés dans deux occurrences du même sémème, ou dans deux sémèmes parasynonymes ; voire dans des antonymes.

Exemple : La contradiction du syntagme Perdre sa vie à la gagner se lève en opposant /matérialité/ + /profession/ de la phraséologie ‘gagner sa vie’ à une ‘perte’ indexée aux sèmes /spiritualité/ + /oisiveté/. Glose : L’appât du gain passe dans ce cas pour un gaspillage de temps car il s’effectue au détriment de la méditation, de la création artistique voire du plan affectif. On reconnaît là le point de vue " bohème " cultivant le paradoxe du Qui gagne perd (le Qui perd gagne étant pour lui une transformation de la perte matérielle en gain spirituel).

Enclosure : opérateur réduisant le degré d’allosémie d’une séquence (i. e. de disjonction exclusive entre sémèmes comprenant des sèmes incompatibles). Les enclosures participent à la connexion des isosémies génériques.

Entour : ensemble des phénomènes sémiotiques associés à une suite linguistique ; plus généralement, contexte non linguistique.

Exemple : C’est le film publicitaire vantant les mérites d’une petite voiture qui éclaire la contradiction du slogan associé La grandeur n’est pas une question de taille. Le distinguo entre l’hyperonyme ‘taille’ et l’hyponyme ‘grandeur’ s’explique par le sème générique /abstrait/ affecté à ce dernier (= 'célébrité'), alors que le premier conserve /concret/ par l’image du véhicule (le générique ‘taille’ se lisant ‘petite’). Cela illustre une dissimilation d’acception, permise par le substrat morphologique –eur. Le rôle de l’entour est de la faciliter, et de rendre ainsi le slogan immédiatement intelligible.

Faisceau : ensemble d’isosémies induites par la récurrence des éléments d’une même molécule sémique.

Interprétant : contexte linguistique ou sémiotique permettant d’établir une relation sémique.

Interprétation : assignation d’un sens à une suite linguistique. Elle est conditionnée par une suite d’opérations cognitives ou parcours interprétatif. Deux types d’interprétation :

Isophonie : effet de la récurrence syntagmatique d’un même phonème.

Isosémie (= isotopie sémantique dans notre terminologie, à la suite de Pottier, 1987) : effet de la récurrence syntagmatique d’un même sème. Les relations d’identité entre les occurrences de ce sème induisent des relations d’équivalence entre les sémèmes qui les incluent.

Molécule sémique : groupement stable de sèmes, non nécessairement lexicalisé ou dont la lexicalisation peut varier. Ex. dans Herodias étudié par Rastier (1992 a) : /viril/ + /roide/ + /en position supérieure/ + /vertical/ (pour ‘Antipas’, ‘forteresse’, ‘tête’) vs /féminin/ + /ondulant/ + /en position inférieure/ + /horizontal/ (pour ‘Salomé’, ‘ville’, ‘plat’).

Ordres (quatre) :
- ordre syntagmatique : ordre de la linéarisation du langage, dans une étendue spatiale et/ou temporelle. Il rend compte des relations positionnelles et des relations fonctionnelles. Ainsi, il est le site des relations contextuelles.
- ordre paradigmatique : ordre de l'association codifiée. Une unité sémantique ne prend sa valeur que relativement à d'autres qui sont substituables avec elle et qui forment son paradigme de définition.
- ordre herméneutique : ordre des conditions de production et d'interprétation des textes. Il englobe les phénomènes de communication, mais dépasse les facteurs pragmatiques, en incluant les situations de communication codifiées, différées, et non nécessairement interpersonnelles. Il est inséparable des situations historique et culturelle de la production et de l'interprétation.
- ordre référentiel : ordre qui détermine l'incidence du linguistique sur les strates non linguistiques de la pratique. Il participe à la constitution d'impressions référentielles.

Réalisme empirique vs Réalisme transcendant :

Rastier (1992 d, p. 90) propose la division kantienne "en réalisme empirique et en réalisme transcendant : selon que la réalité représentée relève du monde physique ou du monde métaphysique, ces deux conceptions du réalisme s'affrontent sans fin."
(ibid. pp. 81-82) Il faudra attendre le roman bourgeois du XIXe siècle pour qu'en théorie la littérature puisse représenter non plus une réalité trancendante (selon un projet néoplatonicien), [...] mais une réalité empirique telle que la science peut l'appréhender. D'où par exemple le projet balzacien d'une zoologie sociale."
(ibid. p. 96) "Au cours du XXe siècle, le réalisme aristotélicien du roman bourgeois s'est poursuivi dans le réalisme socialiste et national-socialiste. Cependant, le réalisme transcendant de la poésie lyrique romantique se poursuivait dans le surréalisme."
(ibid. p. 98) Rastier dénonce "une aporie fondatrice du réalisme : l'oeuvre d'art, et particulièrement le texte artistique, n'ayant pas d'ontologie propre, doit recevoir sa dignité ontologique de ce qu'elle représente", à savoir "une réalité venue d'ailleurs : (i) d'une sphère divine par l'inspiration, (ii) d'une sphère matérielle par la théorie marxiste du reflet, (iii) d'une sphère métapsychologique par la théorie psychanalytique de la sublimation."

Il ajoute (ibid. p. 100) : "A vrai dire, les deux paradigmes qui ont dominé jusqu'à nos jours l'histoire des théories occidentales de la signification, les paradigmes augustinien et aristotélicien, ne diffèrent que sur la fonction de cet instrument : représenter l'intention par inférence ou représenter l'objet par référence."
Ainsi, dans son Précis de psycholinguistique (PUF, 1989), J. Caron peut-il réaffirmer la complémentarité des niveaux logique et pragmatique : "une phrase n'est pas simplement le codage verbal d'un certain état de choses, c'est un acte de communication, adressé par quelqu'un à quelqu'un, dans une certaine situation, en vue d'un cerain but." (p. 129)
A ces deux problématiques de la signification, référentielle et inférentielle, Rastier substitue la trosième voie, différentielle, fondatrice de la sémantique structurale (cf. Rastier, 1994 c, p. 39).

Réécriture, de sémèmes-source, apparus dans un contexte, en sémèmes-but, dans un autre ; 7 types de réécriture :

Réseau associatif : ensemble de relations qui permettent d’identifier la récurrence d’une molécule sémique. Celle-ci équivaut à un thème, quand il peut être défini sémantiquement.

N. B. Contrairement à une tradition linguistique pourtant bien établie, on ne définit pas le thème dans le cadre de la phrase, comme "ce dont il est question", par opposition :

Ainsi dans M. Madeleine passait un matin dans une ruelle (Hugo), on considère que le sème /identité/ de ‘M. Madeleine’ n’est pas séparable (parce qu’il appartient au " sujet ", pas plus que /locatif : temporel + spatial/ appartenant au " prédicat "), mais s’intègre au sème générique, récurrent dans l’énoncé, /promenade/, dont il constitue le thème minimal.

Sème : élément différentiel (du contenu) conjoignant ou disjoignant deux sémèmes. Notation: /sème/. Quatre types de sème :

Un sème dont l’héritage, l’activation ou la propagation est bloquée est dit neutralisé (tel par exemple, dans le domaine vestimentaire, le sémème 'chaussons' dont le sème inhérent /pour le confort/ est absent de la phraséologie chaussons d'escalade ; cette pratique activant ses sèmes /pour l'adhérence/, /pour les sensations/, /pour la précision/, etc. (contrastivement à chaussures de montagne - randonnée & alpinisme) selon les contextes requis, où les sèmes /rigide/ et /très étroit/ sont paradoxalement valorisés).

Sémème : contenu d’un morphème. Notation : ‘sémème’.