Structures d'auteur, métaphores de lecteur
par Brian Gill, Université de Calgary, 1994
Paru dans Autor y texto: fragmentos de una presencia, Angeles Sirvent, Josefina Bueno, Silvia Caporale, eds., PPU, Barcelona, 1996, pp. 259-266.

Comme beaucoup d'autres lecteurs, j'ai un faible pour S/Z. En entreprenant un travail sur cet objet aimé, je suis parti de l'hypothèse que les organisations de signifiants produites par Balzac dans Sarrasine n'avaient pas déterminé les sens que Barthes avait donné à ce texte dans S/Z (Paris, Seuil, Coll. Points, 1970). J'en voyais une confirmation dans l'emploi massif de métaphores dans le discours critique. En effet, me disais-je, puisqu'une métaphore est choisie par le critique-lecteur, en aval du texte, elle ne peut être déterminée par l'auteur. Même une structuration apparemment contraignante comme une antithèse peut être métaphorisée d'une manière tout à fait inattendue. En effet, au lieu d'y voir une opposition, la trace d'une organisation binaire du monde, Barthes arrive à voir dans les premières antithèses de Sarrasine des transgressions et la déstabilisation des oppositions sémantiques. Au lieu de voir le narrateur, assis dans l'embrasure d'une fenêtre lors d'une fête, coupé en deux, moitié dehors, moitié dedans, une moitié chaude, une moitié froide, neutralisé, atteint dans son milieu, Barthes le voit surgir en trop, supplément d'une antithèse saturée, figure du surgissement du récit. Si l'on peut lire une antithèse balzacienne comme une transgression et un surgissement, me disais-je, alors l'auteur a beau chercher à imposer à son texte des sens et des structures déterminés, on est toujours libre de trouver dans ce texte ce qu'on peut, ce qu'on veut.
Etant arrivé rapidement à cette conclusion, elle me parut un peu simpliste et je continuai de relire S/Z. Par des cheminements tout à fait différents, j'arrivai à des conclusions semblables, mais qui me paraissaient plus respectablement exprimées. C'est le récit de deux de ces cheminements que je voudrais faire ici.
Il semble à première vue que l'emploi de la notion de code dans S/Z contribue à libérer le texte de son auteur. On n'arrive pas à déterminer exactement ce que Barthes veut dire par code: c'est un concept qu'il emploie métaphoriquement et dont les seules définitions qu'il propose sont métaphoriques: c'est "une perspective de citations", un "mirage de structures, le sillon du déjà-lu, déjà vu, déjà fait, déjà vécu" (p. 28).
Il semble clair cependant que pour Barthes ici, et malgré le sens habituel du mot code en sémiologie, il ne s'agit pas d'un code partagé entre un auteur et un lecteur, qui permettrait la détermination d'un sens précis pour le message littéraire. Il s'agit plutôt des codes du lecteur: codes qui s'abouchent au texte "en aval". Et cependant, dans certains cas, Barthes a recours à des codes en amont, aux codes de Balzac et de son temps, codes qu'il est bien sûr obligé de supputer, de reconstituer. La blancheur connote la beauté parce qu'à l'époque de Balzac il fallait que les femmes soient blanches (p. 76); on apprécie une référence aux "Allemands qui prenaient pour des réalités [les] railleries ingénieuses de la médisance parisienne" parce que l'opposition "l'Allemand naif/le Parisien railleur" est un "paradigme d'époque" (# 34). En fait, et on n'a peut-être pas assez insisté là-dessus, des cinq codes que Barthes emploie dans S/Z, un code entier est donné explicitement comme celui de l'époque balzacienne, donc de Balzac lui-même: il s'agit du code référentiel ou culturel.
Les contenus du code culturel, dit Barthes, correspondent à peu près "au jeu des sept ou huit manuels dont pouvait disposer un honnête élève de l'enseignement classique bourgeois: une Histoire de la Littérature [...], une Histoire de l'Art [...], un manuel d'Histoire [...], un précis de Médecine pratique [...], un traité de Psychologie [...], un abrégé de Morale [...], une Logique [...], une Rhétorique et un recueil de maximes et proverbes concernant la vie, la mort, la souffrance, l'amour, les femmes, les âges, etc." (p. 211) L'imparfait ("dont pouvait disposer un honnête élève") renvoie clairement au lecteur du passé. En même temps, cet "honnête élève de l'enseignement classique bourgeois" ne peut être, aussi, que Balzac lui-même. Il semble y avoir au sein de S/Z, malgré tout, un "retour amical de l'auteur".
Si le concept de code culturel implique la présence de Balzac dans Sarrasine, il sert aussi à tracer la présence de Barthes dans S/Z. Car la métaphore de code, et en particulier de code culturel, peut s'appliquer non seulement à Sarrasine, à un texte narratif, mais tout aussi bien à S/Z, à un texte argumentatif. (Barthes l'a d'ailleurs employé lui-même, sous le nom de "codes du savoir", dans sa discussion d'un essai de Georges Bataille. [note : "Les sorties du texte", dans Le Bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, p. 291])
S/Z comporte ainsi deux étages de culture: la culture que Balzac étale dans Sarrasine, et la culture que Barthes étale dans S/Z. Côté littérature, par exemple, Balzac dans Sarrasine renvoie à Byron et Anne Radcliffe, tandis que Barthes dans S/Z renvoie à Proust (p.65), Jean Genet (p. 217) et Sade (p. 169).
Si Barthes peut dire un peu cavalièrement que la culture du temps de Balzac correspondait aux sept ou huit manuels dont pouvait disposer un honnête bourgeois, il est plaisant de penser que la culture moderne dont S/Z porte la trace pourrait être cherchée en priorité dans les textes d'approche d'à peu près le même nombre de disciplines à la mode en 1970 et qu'aurait feuilletés un honnête étudiant en lettres modernes: une Introduction à la Linguistique et à la Sémiologie, un ou deux articles sur la cybernétique et la théorie de l'information, quelques numéros d'un hebdomadaire économique comme l'Expansion, un Traité de Psychanalyse, quelques pages commentées de Lacan et de Derrida, un Eléments de Tauromachie. En même temps, bien sûr, on trouve dans S/Z tout un ensemble riche, mais moins facile à repérer, de savoirs, de connaissances et de stéréotypes culturels plus généraux. [note : Pour une étude intéressante des stéréotypes sexuels auxquels la lecture de Barthes a recours (Bouchardon est dit "maternel" parce qu'il "devine, recueille, assiste" (# 172); "La douceur est une arme maternelle" (# 180), etc.), voir Deborah G. Lambert, S/Z Barthes' Castration Camp and the Discourse of Polarity, Modern Language Studies, Summer, 1986, v16(3), pp.161-171]
Selon le procédé typiquement barthésien, les traces de cette culture moderne se déposent dans S/Z non pas dans des références explicites, des notes savantes, mais avant tout dans des métaphorisations. Il y a des exceptions: Barthes cite Freud, Adler et quelques auteurs littéraires; il se réfère explicitement à la tauromachie et à la cybernétique; dans l'ensemble cependant, c'est dans le feu d'artifice métaphorique qu'on repérera les jalons du catalogue culturel barthésien. J'ai déjà mentionné la métaphore de la transgression, ethno-logico-psychanalytique. On a aussi bien sûr la métaphore de la castration (on tue Sarrasine = il est châtré; Mme de Rochefide refuse de coucher avec le narrateur = elle est châtrée; le narrateur est déçu dans son attente = il est châtré) qui est empruntée à Freud. On a la métaphore de la métonymie (le texte représente une métonymie effrénée = série de rapports de cause à effet), qui passionne Barthes depuis 1963 et que son lecteur rapporte sans doute à Jakobson (ou à Eikhenbaum). La métaphore du contrat (raconter une histoire dans l'espoir qu'on vous récompensera par une nuit d'amour = passer un contrat) embraie l'interprétation sur la science économique moderne. Une bonne partie du "brillant" du texte de Barthes provient de son appropriation plus ou moins métaphorique de notions comme le code, la transgression, la castration, la contagion, le contrat, la marchandise, la métonymie, le paradigme, la brique cybernétique ou la dissémination, notions qui charrient avec elles toute la force de conviction des savoirs modernes et respectables où elles sont prises.
Ces métaphores où se concentre le codage culturel moderne ne sont pas des accessoires tape-à-l'oeil dont le texte de Barthes s'affublerait complaisamment. Ce ne sont pas non plus, essentiellement, et malgré les apparences, des moyens d'ouvrir le texte, de le pluraliser. (J'y reviendrai.) Ces métaphores constituent dans S/Z une trame argumentative, sous-tendant et préparant la conclusion. Car argumentation et conclusion il y a, on le sait, malgré toutes les marques de pluralité, malgré la volonté affichée d'éviter une lecture totalisante. [note : Plusieurs critiques ont noté la tendance totalisante dans S/Z. Barbara Johnson est très claire dans son étude célèbre: Barthes erects castration into the meaning of the text, its ultimate signified. (The Critical Difference, Baltimore, Johns Hopkins UP, 1980, p. 11.)]
La grande conclusion de S/Z, on la connaît: "il est mortel, dit le texte [de Balzac], de lever le trait séparateur, la barre paradigmatique qui permet au sens de fonctionner (c'est le mur de l'antithèse), à la vie de se reproduire (c'est l'opposition des sexes), aux biens de se protéger (c'est la règle du contrat)" (p. 221). Sans la métaphore linguistique de la barre paradigmatique, sans la métaphore psychanalytique de la castration, sans la métaphore économique du contrat, cette conclusion n'a pas de sens. La thèse principale de S/Z, selon laquelle Sarrasine représente des troubles de la représentation, un effondrement généralisé des différences, dépend entièrement d'une métaphorisation culturelle moderne basée sur les notions d'opposition paradigmatique, de transgression, de castration et de contrat.
Je ne rappelle pas tout cela pour rouvrir le vieux débat sur la valeur à attribuer à des argumentations basées sur des métaphores. Barthes sait très bien ce qu'il fait [note : Barthes se reproche parfois ironiquement son emploi métaphorique de concepts scientifiques, par exemple dans Roland Barthes par Roland Barthes ("vous pratiquez une pseudo-linguistique, une linguistique métaphorique", p. 127)] et les résultats sont là pour nous enchanter. Mais on est frappé par l'inégalité de traitement réservé aux contenus culturels balzaciens et ceux de Barthes lui-même. Il se montre en effet extrêmement méprisant envers la culture de Balzac. C'est "la grande voix de la petite science" (p. 211); connotation: grande voix comme on dit grande gueule. Barthes nous dit que "tous les codes culturels [...] forment dans leur ensemble un petit savoir encyclopédique bizarrement cousu, une fatrasie" (p. 190); connotation: coq-à-l'âne, non-sens; il pense que "c'est en effet dans ces codes culturels, que se concentre le démodé balzacien" (p. 211); il renchérit: "c'est par ses codes culturels qu'il pourrit, se démode, s'exclut de l'écriture" (p. 104).
Cette dépréciation des codes culturels de l'époque de Balzac s'accompagne d'une glorification des codes modernes. Sa propre culture est en effet constamment indexée par Barthes, non seulement positivement, mais comme véridique. S'agit-il de Zambinella? C'est une femme "imaginaire - c'est-à-dire, au sens moderne, suscitée en Sarrasine par la méconnaissance de son inconscient" (p. 207). Le rire? "on sait que le Rire est un substitut castrateur" (# 512). Le "on sait que", ou "on connaît" - "On connaît le symbolisme de la tresse" (p. 166)) que Serge Doubrovsky avait déjà repéré comme signe d'un certain dogmatisme barthésien [dans "Une écriture tragique", Poétique, 47, 1981, p. 335: "On sait que la langue est un corps de prescriptions et d'habitudes, commun à tous les écrivains d'une époque. Cela veut dire que [...] (Le Degré Zéro de l'écriture, p. 11)" Qui parle ici? On, le sujet anonyme du Savoir. Et, bien sûr, la formulation du Savoir est péremptoire; il n'y a pas à discuter [...] Cette posture dogmatique (à fondement aléthique) sous-tend et soutient une large partie du discours de Barthes: Mythologies, Essais critiques, S/Z". On trouve d'autres exemples dans S/Z, pp. 166, 201], est désignateur de vérité. Il s'oppose très nettement à l'ironie, à la distanciation des notations sur le code culturel balzacien qui sont du genre: "L'esprit parisien [opposé à] la passion méridionale" (# 139) ou "la femme mûre supérieure à la vierge inexperte" (# 21). Ces notations ont manifestement pour but de ridiculiser la doxa balzacienne, d'en faire comme des entrées dans un nouveau Dictionnaire des idées reçues.
Je récapitule donc. Dans ses commentaires sur le code culturel, Barthes note une certaine présence de Balzac dans Sarrasine, traces d'une idéologie qu'il juge démodée. De façon symétrique, on peut repérer la présence de Barthes dans S/Z, présence très visible dans les références culturelles concentrées dans ses métaphores, mais cette culture-là, Barthes la présente comme véridique. Cependant, si la culture de Balzac se démode, celle de Barthes se démode aussi. Barthes se trouve dans le tourniquet décrit par Althusser et Foucault, et commenté par Barthes lui-même peu de temps après : l'idéologie est un lieu sans extérieur, il n'y a pas de lecture "innocente". Ce tourniquet n'est pas nouveau pour Barthes, bien au contraire, il est au centre de son projet : attaques contre la doxa, d'une part, goût pour les savoirs modernes, de l'autre, un peu comme Balzac qui s'enthousiasme pour les dernières découvertes en phrénologie et se moque des manières provinciales.
Le texte paraît donc comme un lieu où l'auteur est condamné à se fixer, qu'il le veuille ou non (Balzac le voulait, Barthes résiste). Et le lecteur, pour peu qu'il lise bien, c'est-à-dire pour peu qu'il relise et récrive, est obligé, comme Barthes, de rejeter le corps de l'auteur et de le remplacer par le sien, par un anticorps. S/Z est une célébration exemplaire de ce processus. Barthes ramasse toutes les traces de la culture de Balzac dans Sarrasine, les empaquète proprement dans son code culturel, puis les fustige bien (ce sont des fatrasies, etc.); le corps de l'auteur est exhumé, violenté, abandonné. En même temps, la culture de Barthes essaime dans son texte, vient habiter les métaphores, les commentaires, le titre, la structuration même du livre: elle occupe tout le terrain, il n'y a de place pour rien d'autre. La lecture est bien agression, substitution (de sens et de corps), victoire sur l'Autre.

Mais revenons aux métaphores. Dans une métaphore, le choix du comparant n'est pas déterminé par les caractéristiques du comparé. Les deux doivent posséder en principe un trait en commun, mais il est toujours possible, deux termes étant posés, de leur trouver un point en commun (Barthes lui-même cite Chateaubriand qui s'amuse à trouver un point commun entre le lait et les jésuites).
(D'autre part, on connaît depuis longtemps l'image surréaliste du genre "La terre est bleue comme une orange", qui consiste à comparer deux choses au moyen d'un trait qu'aucun ne possède.) La métaphore est bien indéterminée en amont, et Barthes est libre d'appliquer au texte de Balzac les métaphores de son choix, appeler une mort une castration, une antithèse une transgression, etc. Dans un certain sens donc, la métaphore interprétative ouvre le texte tuteur, permet une splendide libération du sens. Il semble que ce soit pour cette raison que Barthes disait à l'époque de S/Z: "il nous faut employer le plus de métaphores possible", la métaphore étant ce qui peut "donner congé au signifié".
Et cependant, d'un autre côté, une fois posée, la métaphore limite le sens. Comme les comparaisons, les explications, les commentaires, les définitions, la métaphore est une des ingérences de l'auteur - disons ici Barthes - dans la libre prolifération des sens de son texte. Par la métaphore, il impose une équivalence de deux sens; il nous ouvre un nouveau champ de signification mais il en ferme d'autres. En lisant "transgression", "castration" et "contrat", je suis embarqué de force avec Barthes jusqu'à sa conclusion. C'est pourquoi, curieusement, la métaphore convient mieux au discours critique, qui est imposition de sens, qu'au discours littéraire, qui est im-posture du sens (dans l'acception imaginée par Antoine Compagnon : absence de posture, de position).
Multiplier les métaphores, comme le fait Barthes, pluralise un peu, mais parcimonieusement, les sens qu'on impose.
Il s'ensuit que pour bien lire Sarrasine, Barthes devait ignorer les métaphores balzaciennes, qui limiteraient les sens de Sarrasine, l'embarqueraient dans un autre bateau que le sien. C'est bien sûr ce qu'il fait. Aucun commentaire sur la "mine féconde" que constitue le mystère de la fortune de Lanty, p. 38; rien sur Mme. de Lanty "sirène", p. 41; sur les "applaudissements à faire crouler la salle", p. 117; sur les "écus tâchés de sang", p. 46. (Il est vrai que les métaphores balzaciennes sont banales.) Lorsque Barthes commente, c'est en séparant les deux termes comparés et en les traitant à égalité, comme deux informations différentes: de "ennuyeux comme un banquier" (# 24), il retiendra "banquier"; les arbres qui sont des spectres (# 8) produisent le sème "fantastique".
En fait, ce ne sont pas seulement les métaphores que Barthes ignore ou défait ainsi: toutes les constructions de sens de Balzac sont ignorées ou démontées de la même façon. Ignoré l'éloge de la femme mûre, Mme de Lanty, dont Barthes ne retient que l'incident du doigt de l'amant écrasé dans une porte; ignorés les rapports, pourtant fascinants, entre l'histoire enchâssante et l'histoire enchâssée; ignoré le contenu des antithèses, bonnes seulement à figurer la transgression. Démontés les personnages et les lieux, réduits en agglomérations instables de sèmes (végétalité, richesse, vaporicité, musicalité, italianité) qui par ailleurs émigrent librement à d'autres endroits du texte; démonté un classement aussi traditionnel que le partage des humains en hommes et femmes, la métaphore barthésienne de la castration permettant de reclasser tout le monde selon l'axe châtrant/châtré, actif/passif. Il semble que Barthes n'ait rejeté du structuralisme la notion clé de structures immanentes à l'oeuvre que pour mieux profiter de la notion d'unités minimales, petits blocs sémantiques genre Lego, qui permettent au lecteur de faire les constructions qu'il désire (et dont il peut même changer la couleur et la forme au moyen d'une bonne métaphore interprétative).
Barthes refuse donc, apparemment, toutes les explicitations de sens que Balzac avait mis dans Sarrasine. Les métaphores sont ignorées, les descriptions sautées, les personnages éclatés, les références culturelles ridiculisées, les grandes structures narratives dédaignées. Un esprit méchant dirait peut-être que cela est heureux: Balzac après tout est le spécialiste des métaphores banales, des longues descriptions excessives; et dans Sarrasine du moins, l'organisation narrative reste un peu bancale. Des personnages comme Filippo, Marianina et Mme de Lanty sont somptueusement présentés dans la première partie pour ensuite ne plus jouer aucun rôle; des tableaux et des statues se multiplient sans qu'on comprenne pourquoi il en faut tellement; de petites scènes sont fixées ça et là (le vieillard offre une bague à Marianina) que même Barthes n'arrive pas à justifier, et j'en passe.
Qu'est-ce qu'il y a donc de Sarrasine dans la lecture de Barthes? Qu'est-ce qui l'a attiré dans ce texte classique, lisible, démodé, confus? Un soupçon de castration? Mais encore? Le concept barthésien de l'effet de réel suggère une réponse, métaphorique bien sûr. Les effets de réel sont de petits bouts de texte qui n'ont pas vraiment de sens (pas de signifié dénotatif, dit Barthes): tout ce qu'ils font c'est connoter inlassablement le réel.
De même, on peut considérer un grand bout de texte comme Sarrasine comme n'ayant pas vraiment de sens: tout ce qu'il fait, c'est connoter inlassablement un désir. Lequel? Et de qui? Si j'ai un faible pour S/Z, et si je ne suis pas seul, c'est peut-être parce que Barthes y a pris pour objet un texte selon son coeur, une nouvelle brouillonne, excessive, sans aucune "tenue", dont le désir, ressassé de façon obsédante, est d'être "malmenée", "étoilée", "brisée", qui désire que la parole lui soit "coupée" (pp. 20-22); et qu'assister à la satisfaction d'un désir, surtout dans le confort de ses fantasmes, est toujours jouissif.