Septième et dernière journée - II, 14-15
Elle débute dans l’ambiguïté car la visite habituelle de Patricia s’effectue en fin de matinée et sans ses deux complices ("Ni la gazelle ni le singe minuscule ne l’accompagnaient cette fois."), séparation qui anticipe le triste dénouement.
De même, la douce harmonie prolongée avec Sybil ("Je suis restée tout le temps avec maman") ne fait que compenser l’ignorance qu’elle suppose chez sa mère concernant son refus d’aller en pension : "je l’aime tant… Elle ne peut pas savoir" à quoi JE oppose la lucidité de Sybil : "" Elle ne le sait que trop ", pensai-je." (II, 11) C’est cette querelle de partage sur l’isotopie /cognition/ qui conduira la fille à ne se fier qu’à soi, à la science de son monde, sans concession pour sa mère, malgré les apparences.
Lors de la troisième longue vision de King (triplication), après un premier temps d’intense admiration du fauve magique ("On eût dit qu’elle avait peur de briser un charme."), le second pose un contenu nouveau. D’abord parce que c’est la première fois au cours de l’histoire que le Lion ne suffit plus à contenter Patricia ("Elle, qui jusque-là s’était montrée sereine et tendre et insoucieuse du temps, elle devint d’un seul coup, après l’arrivée de King, la proie d’une impatience qui touchait à la fureur.") ; ensuite, parce qu’elle substitue le triplet négatif /ponctuel/ + /singulatif/ + /disharmonie/ à son contraire qui prévalait (/duratif/ + /itératif/ + /harmonie/). Cela pose un problème cognitif aux observateurs qui jugent "son comportement bizarre", notamment le fauve, lequel "ne comprenait pas. […] Jamais il ne l’avait connue ainsi."
Or le mystère de Patricia se dissipe lorsque, "enfin, émergea d’un fourré lointain l’homme que la petite fille avait attendu avec tant de passion et dont j’avais su […] qu’il viendrait. […] C’était la fin du jeu. […] Pour la première fois, je voyais sur les traits de Patricia la surprise épouvantée devant le destin en marche". Au fil des journées, JE a acquis une omniscience qu’il assortit d’une clause d’extériorité ("je n’étais pas en eux") rappelant qu’il n’est que témoin.
La recherche d’une culpabilité dans le drame final en revient rétrospectivement à cette histoire mythique mettant en scène la bravoure inconsciente des guerriers Masaï face au fauve. On lira ce résumé voilant à peine la réprobation : "Patricia avait eu un lion. Elle avait eu un morane. Elle avait voulu seulement leur faire jouer un jeu que son père bien-aimé lui avait conté tant de fois." (II, 15) Le sème /accompli/ suggère le passage actuel dans un autre monde, qui ne relève plus du ludique. Cet aspect est dévalué, de même que /itératif/ – de l’initiation inconsciente du père – au profit de son contraire /singulatif/, car la réalisation unique du jeu permet de rompre avec lui, fût-ce dans la douleur.
L’ambiguïté évaluative se prolonge du fait que la paire /cessatif/ + /dysphorie/ débouche avec la mort de King sur un nouveau savoir :
"Les sentiments essentiels – la maternité, l’amitié, la puissance, le goût du sang, la jalousie et l’amour – Patricia les avait tous connus par le truchement de King. C’était encore le grand lion qui lui faisait découvrir le sentiment de la mort."
L’imparfait à valeur subjective, permettant à JE-l’analyste de participer à la prise de conscience de la jeune fille, relève du discours indirect libre qui valorise le point de vue de l’héroïne.
Une mort apprise encore sur l’isotopie /magie de la brousse/ par une avio-mancie très " naturelle " :
"Il n’existait pas d’écriture aussi lisible pour la petite fille du Parc Royal que les cercles tracés par un vol de vautours."
La séparation du "cadavre" (ami qui lui fait "horreur") et du tueur (père à qui va sa "haine") s’impose à elle, de sorte qu’elle accepte après coup la proposition de départ avec JE (II, 11). L’éloignement de la Réserve concrétise la victoire de Sybil : "Enfin, était exaucé le désir le plus profond qu’elle nourrissait pour le bien de sa fille" (II, 15).
Résumé du drame mortel par sa structure casuelle :
/causatif/ : "un instinct têtu et subtil", inconscient (II,14), identique à l’instinct de l’ailleurs, d’un univers inconnu et sacré (I, 1) : sème /euphorie/ |
/résultatif/ : la séparation, le chagrin : sème /dysphorie/ |
/bénéfactif/ : rite Masaï - goût du sang du chasseur - jeu innocent |
/ergatif/ : Oriounga - Bullit – Patricia |
/accusatif/ : /violence/ (celle d’Oriounga et Bullit, mais aussi celle que suscite Patricia dans " la rencontre ") |
/datif/ : King |
/locatif/ : la savane, l’après-midi du dernier jour |
/adversatif/ : Sybil et JE (qui est surtout témoin du drame) |
Le final dans les larmes n’est pas pour autant désespéré et la paire contraire /inchoatif/ + /euphorie/ prévaut dans cette ultime nuit, au clair de lune, sur fond de "scintillement d’ondes argentées" – comme pour noyer les sanglots de la jeune héroïne dans l’intense beauté du décor indexé à /poéticité/ – qui laisse présager une aube nouvelle, différente de celle qui inaugurait le roman.
Cet élan vers l’optimisme est appuyé par le sème /dynamisme/ de la dernière phrase du roman, concise, relevant du merveilleux nocturne : "Et les bêtes dansaient." qui diffère de leur première vision, indexée à /statisme/ et plus platement concrète : "Auprès de l’eau étaient les bêtes."
Précisons la façon dont les deux aspects antithétiques structurent le sème /dynamisme/ si récurrent dans les deux derniers chapitres :