Que garder aujourd’hui de la lecture thématique de S/Z ?



- Texte publié dans La lecture littéraire, 2000, Klincksieck (V. Jouve éd.) -

Topologiquement, la connotation assure une dissémination (limitée) des sens, répandue comme une poussière d’or sur la surface apparente du texte (le sens est d’or). [...]
La structure n’est pas un dessin, un schéma, une épure : tout signifie.
(S/Z, pp. 15, 58)


A. Difficulté du pluriel désorganisé
B. Code sémique et thématique
Conclusion et proposition

Il n’est que de se pencher sur des publications récentes, notamment Th. Pavel (1995, 1996 a-b) et Cl. Bremond (1996), reprises dans Bremond & Pavel (1998), pour constater que le célèbre S/Z de Roland Barthes suscite encore des réactions, trente ans après sa parution. Rappelons quelle fut la célèbre grille des cinq codes appliquée à la nouvelle Sarrasine de Balzac. Pour l'essentiel,

l’herméneutique relèvera "l’ensemble des unités qui ont pour fonction […] de formuler une énigme et d’amener son déchiffrement" (S/Z p. 24)
le proaïrétique étudiera les séquences d’actions et de comportements (p. 25)
le culturel décèlera "les citations d’une science ou d’une sagesse" (p. 27)
le symbolique sera en l’occurrence "occupé par un seul objet […], le corps humain" (p. 220)
le sémique, attentif à la Voix de la Personne, privilégiera les signifiés de "caractère" (p. 196)

Il nous est apparu opportun de revisiter le dernier de ces cinq codes, lequel figure le prototype de la connotation, telle qu’elle est ici définie dans l’épigraphe, par sa pulvérisation, sa brillance, son dynamisme :"Pour les sèmes, on les relèvera sans plus – c’est-à-dire sans essayer, ni de les tenir attachés à un personnage (à un lieu ou à un objet), ni de les organiser entre eux pour qu’ils forment un même champ thématique ; on leur laissera leur instabilité, leur dispersion, ce qui fait d’eux les particules d’une poussière, d’un miroitement du sens." (S/Z p. 26) On comprend alors que ce code se limite à présider à la "naissance du thématique" (p. 98). Or ce secteur de la critique à tout à gagner aujourd’hui à s’appuyer sur la composante du même nom, appartenant à la linguistique textuelle et éprouvée par la théorie componentielle de F. Rastier.

Procédant par catégories (l’ascensionnel, le caverneux, le torrentueux, etc.), la Critique Thématique se fondait sur de prétendus archétypes de l’imaginaire. Or un tel renvoi à la rêverie sur le sensible qui donne la primauté aux réalités matérielle et spirituelle, selon un double réalisme physique et mental, passe sous silence le fait que la thématique est avant tout l’organisation textuelle des signifiés verbaux. L'un des mérites de Barthes, non des moindres, est d’avoir donné la priorité à cette réalité linguistique (comme il appert par exemple de cette assertion de S/Z p. 196 : "le caractère est un adjectif, un attribut, un prédicat" : cela tend à démontrer que ce que l’on infère du portrait d’un personnage et que l’on identifie à ses qualités réelles est en fait, d’abord, l'ensemble de ses sèmes).

A la lumière des concepts descriptifs développés depuis 1985 par F. Rastier, notre objectif est de montrer tout l’enjeu, encore actuel, des remarques formulées dans S/Z de façon fragmentée. Et si l’on est amené à stigmatiser l’imperfection de certaines de ses propositions, c’est parce que l’on cherche à en évaluer la portée et la richesse, d’un point de vue rétrospectif. Sera notamment remis en question son post-structuralisme ou déconstructivisme, dans le détail de l’analyse du récit.

Cela ne revient pas à adopter le premier "scientisme structuraliste", contre lequel précisément s’édifia ce que Pavel nomme "l’élégant mélange d’anarchisme théorique et d’impressionnisme critique" qu’illustre S/Z, (1996 b: 160, 1995: 101). Lorsque Barthes, dans un incipit ravageur, rejette le réductionnisme "de tous les récits du monde" à "une seule structure" qui serait le "modèle" scientifique : "tâche épuisante et finalement indésirable, car le texte y perd sa différence" (S/Z pp. 9, 12) – l’accusation contre les catégories narratologiques repose sur l’idée contestable qu’il n’est de science que du général –, il doit reconnaître dans le même temps que la différenciation visée par le "jeu" des cinq codes de connotation, délaisse "l’individualité" du texte. Au contraire celle-ci demeure précisément notre objet de recherche, et l’atteindre implique l’activité de construction organisée de son contenu.

"Barthes définit la nouvelle interprétation en l’opposant aussi bien à la recherche de la totalité structurée qu’à celle de la représentation d’une réalité extérieure à l’œuvre", poursuit Pavel (1996 b: 165). Si l’on se réfère en linguistique à la théorie des trois points de vue développée par Cl. Hagège (1985, ch. IX, dans le droit fil de la triade sémiotique de Morris syntactics / semantics / pragmatics), on observe que cette volonté de "dégager le texte" doublement correspond
(i) à l’éloignement du système clos morphosyntaxique,
(ii) à l’abandon de l’acte sémantico-référentiel de la phrase,
(iii) au profit de la perspective pragmatique (privilégiant la relation entre les signes et leurs utilisateurs, dans un courant anglo-saxon qui émerge en ces années 70 avec Austin & Searle), dont témoigne par exemple le plaidoyer en faveur de l’acte de relecture (S/Z p. 22).
Des traces d’un engagement théorique sont donc repérables dans cet ouvrage pourtant taxé de confusionniste (cf. Pavel).

Ce ne sont pas elles qui nous retiendront, mais bien la méthode proposée. Or si aujourd’hui encore, au nom de l’autonomie des systèmes sémantiques (qui intègrent des conditions pragmatiques), on peut comprendre ce rejet de l’extra-textuel et de l’extra-linguistique – en dépit du reniement actuel de cette thèse saussurienne : Siblot (1997 : 8) défend en effet l’idée "qu’il n’est plus possible de continuer à réfléchir au fonctionnement des systèmes linguistiques dans le cadre d’une conception autarcique de la langue qui expulse nombre de constituants de la production du sens vers l’extra-linguistique" –, il n’en va pas de même pour le refus d’organiser la multiplicité des sens inférés. L’assertion selon laquelle il convient de

"relever systématiquement pour chaque lexie [fragment textuel - abrégé L et cité en mauve -, "meilleur espace possible où l’on puisse observer les sens", S/Z p. 20] ces signifiés ne vise pas à établir la vérité du texte (sa structure profonde, stratégique) mais son pluriel" (S/Z p. 21),
"Interpréter un texte, ce n’est pas lui donner un sens (plus ou moins fondé, plus ou moins libre, c’est au contraire apprécier de quel pluriel il est fait" ; "La connotation est la voie d’accès [...] à ce pluriel limité qui fonde le texte classique" (S/Z pp. 11, 14). Elle combat la dénotation dans ses deux acceptions : vérité interne de la structure, mais aussi externe de la référence.

cette assertion ne saurait exclure leur agencement au fil du texte. Cette opération de pluralisation mais aussi de rationalisation diffère de la volonté de justifier la présence d’une structure ou d’un sens dominants, latents, qui relèverait du choix a priori et subjectif du critique. Elle constitue en quelque sorte la troisième voie, pour laquelle nous optons et qui s’écarte à la fois de l’éclatement interprétatif de S/Z ainsi que d’un premier structuralisme dont Barthes stigmatisa les excès, après l’avoir illustré.

Remarque. Afin de rester dans le concret de l’application, on reprochera par exemple à cette fragmentation en lexies la négligence de la description tactique d’un agencement syntagmatique. Il convient ainsi de mettre en évidence le bloc thématique que constituent les isotopies génériques /théâtre/ + /chant/, lors du spectacle auquel assiste Sarrasine, interrompues par /peinture/ + /sculpture/ décrivant la cantatrice, au cours des L 220 à 229 : Il admirait en ce moment la beauté idéale [...]. La Zambinella lui montrait réunies [...] ces exquises proportions de la nature féminine si ardemment désirées, desquelles un sculpteur est tout à la fois le juge le plus sévère et le plus passionné. [...] Et joignez à ces détails, qui eussent ravi un peintre, toutes les merveilles des Vénus révérées et rendues par le ciseau des Grecs. [...] C’était plus qu’une femme, c’était un chef d’œuvre ! Soit un morceau de bravoure qui accroît le désir du sculpteur pour cette statue vivante dont la perception tactile fait contrepoint à l’auditive.
Il est tout aussi regrettable que le lien entre les isotopies génériques précédentes et /religion/ ne soit pas établi par l’analyste. Tel est pourtant le rôle du sème spécifique /puissance occulte/, dit "d’atmosphère", qu’infère Barthes des L 482-483 : Le Cardinal Cicognara contempla fort attentivement l’artiste et donna des ordres à un abbé, qui disparut avec prestesse. Or c’est cette thématique /puissance occulte religieuse/ qui articule l’intrigue des deux artistes, Sarrasine et le castrat, avec l’émissaire du Vatican, et donne un contenu central aux trois protagonistes.


A. Difficulté du pluriel désorganisé ou le filtre aporétique des codes

Dans S/Z, objecte Pavel, "l’interprétation du pluriel ne saura en aucun cas prendre la forme d’un plaidoyer argumentatif qui hiérarchise les hypothèses vraisemblables en fonction de leur degré de probabilité" (1996 b: 168). Si bien que le sens inféré d’une lexie est fort contestable pour plusieurs raisons :

1. Parce qu’il provient en réalité d’un contexte plus étendu, bref du principe de globalité que récuse pourtant Barthes.

Ainsi son analyse procède par anticipation, par exemple lorsqu’elle détecte une ambiguïté d’ordre dialogique et un "leurre" affectant le contenu de L 29 : C’était un homme à propos du personnage étrange qu’est le vieillard. Or la validité de ce constat provient du savoir acquis ultérieurement sur le castrat, tu pour l’instant par le narrateur qui laisse dominer le point de vue des observateurs familiers des Lanty évoqué à la lexie précédente. Il manque la distinction de la double origine énonciative, qui n’est pas aussi "irrepérable" que le prétend l’avocat du pluriel. En outre ce leurre involontaire envers le public aurait gagné à être distingué de celui qui était émis volontairement par la Zambinella (alias le vieillard lorsqu’il était jeune castrat) : Elle jeta sur Sarrasine un de ces coups d’œil éloquents […]. Ce regard fut toute une révélation. (L 282-84) Soulignant l’illusion d’une telle "communication idyllique", due à la multiplicité des "lignes de destination" que comporte le message, Barthes oublie de préciser laquelle est privilégiée en contexte, et l’isotopie locale qu’elle aide à construire (/machination/, /amour sincère/, /dévoilement/ de la castrature). La même équivoque dialogique affecte ce mot du ténor Vitagliani : Allez, vous n’avez pas un seul rival à craindre ici. (L 331) Or le mauvais déchiffrement par le sculpteur du sous-entendu montre, par antithèse avec lui, que "le seul héros positif de l’histoire" dont parle Barthes n’est pas "le discours" avec "l’impureté de sa communication", mais plutôt le(s) parcours interprétatif(s) que le lecteur est amené à effectuer, notamment face à la méprise de Sarrasine, selon qui la Zambinella était presque une courtisane (L 334). Il persistera jusqu’à la fin en niant l’évidence par Ah ! tu es une femme (L 510), qui répond au leurre initial : C’était un homme (L 29).

L’anticipation se produit dès l’incipit. En effet, le contenu des premières lexies leur est transféré en fonction des suivantes. Ainsi l’on peut contredire Barthes qui atteste la présence du sème /richesse/ dans les syntagme fêtes les plus tumultueuses (L 3) et je pouvais contempler à mon aise le jardin de l’hôtel où je passais la soirée (L 7) ; elle est en revanche justifiée par la précision donnée sur la situation de l’hôtel dans le faubourg Saint-Honoré (L 4). Si bien que le concept manquant qui éviterait la contradiction relevée est celui d’isotopie, qui explique la propagation du sème dans le lieu en question, par assimilation. Il éviterait aussi des oublis : en effet Barthes n’actualise pas ce sème dans les plis onduleux d’un rideau de moire (L 6) alors qu’il est socialement normé dans l’aspect chatoyant du tissu. Bref, la comparaison de ces segments consécutifs révèle un traitement sémantique aléatoire. On adhère alors à l’idée que le sens, tel qu’il y est déterminé, s’en trouve bel et bien "esquivé" et que le lecteur, "privé de repères", finit par être en proie à un "vertige" du fait que S/Z ne lui fournit pas de méthode interprétative reproductible, car, poursuit Pavel, "Barthes prohibe toute forme d’assistance herméneutique susceptible d’orienter les lecteur vers les lueurs d’autonomie et d’objectivité émanant du texte" (1996 b: 169-170).

Cette mise en œuvre du code sémique ne diffère pas de celle de la Voix du Symbole dans laquelle Barthes entend une antithèse, dès les premiers mots de la nouvelle : J’étais plongé dans une de ces rêveries profondes (L 2). Or il faut attendre en réalité que la rêverie ait modalisé les deux endroits de l’hôtel des Lanty, ‘jardin’ vs ‘salon’ :

Les arbres, imparfaitement couverts de neige, se détachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine blanchi par la lune. Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image gigantesque de la fameuse danse des morts. (L 8) Puis, en me retournant de l’autre côté, je pouvais admirer la danse des vivants ! un salon splendide aux parois d’argent et d’or, aux lustres étincelants, brillant de bougies. Là fourmillaient, s’agitaient et papillonnaient les plus jolies femmes de Paris, les plus riches, les mieux titrées, éclatantes, pompeuses, éblouissantes de diamants ! C’étaient de légers frémissements, des pas voluptueux qui faisaient rouler les dentelles […]. On surprenait aussi des airs de tête significatifs pour les amants, et des attitudes négatives pour les maris. […] foule enivrée (L 9-11)

pour que la remarquable union des contraires suivante atteigne un certain degré de probabilité. Soient les contenus récurrents (cf. aussi L 31, 35 : Depuis un moment, j’ai froid, dit à sa voisine une dame placée près de la porte. […] Voilà qui est singulier ! j’ai chaud, dit cette femme après le départ de l’étranger. […] L’étranger était simplement un vieillard) que l’on peut homologuer comme suit :

Groupement A Groupement B

/ici – à droite/

/là – à gauche/

/dehors/

/dedans/

/froid/

/chaud/

/terne/

/brillant/

/dépouillement/

/richesse/
/vacuité/ /plénitude/
/mort – deuil/ /vie – joie/
/tristesse/ /enthousiasme/
/surnaturel/ (fantastique) /mondain/ (réaliste)
/vieillesse/ /jeunesse/
/masculinité/ /féminité/
/laideur/
/beauté/
/statisme/ /dynamisme/
/aspect singulatif/ /aspect itératif/
/dysphorie/ /plaisirs immoraux/

Remarques

On n’aura pas manqué d’observer que l’antithèse, modalisée par le JE rêveur, induit le sème /composite/ (S/Z p. 33), si bien que cette Voix de la Personne devient indissociablement "tressée" avec celle du Symbole. Or le trait de caractère témoigne d’une importance moindre que la récurrence de la paire sémique /médiation/ + /art/ non relevée par Barthes : on lit ainsi Moi, sur la frontière de ces deux tableaux si disparates, ceux des contraires A et B (L 13) ; quant à la situation privilégiée, près de la porte, elle équivaut de ce point de vue, dans le récit enchâssé, à celle où une vieille femme approche de Sarrasine pour lui donner un rendez-vous crucial auprès de la Zambinella : trois coups légèrement frappés à la porte de sa loge excitèrent l’attention de l’artiste. Il ouvrit. (L 285-6) Elle entraîna le Français dans plusieurs petites rues et s’arrêta devant un palais d’assez belle apparence. Elle frappa. La porte s’ouvrit. […] Il reconnut les chanteurs et les cantatrices du théâtre. (L 305-12) Voilà comment la paire sémique colore utilement la Voix de l’Empirie que résume trop sommairement la séquence nommée PORTE.

D’autre part la structuration sémantique fait apparaître une inversion dialectique entre deux histoires : les termes négatifs du castrat devenu vieux (en T2) impliquent les contraires positifs de son passé (en T1), ce qui fait l’intérêt du récit rétrospectif de la Zambinella qu’il fut – lui dont la castration, privative de certains plaisirs, est compensée par ceux des sphères artistique et mondaine.

Enfin, cette mise en évidence de l’organisation des contenus a un double effet d’anticipation et de facilitation sur la lecture de la nouvelle. Cela provient de la cohésion qu’elle révèle, illustrée infra et passim.

2. Parce qu’il est exagéré

Le critique n’hésite pas à donner une interprétation libidinale du comportement de Sarrasine en considérant que l’émotion artistique et amoureuse du sculpteur devant un castrat n’est qu’un euphémisme. Si bien que l’extrait Ses jambes tremblantes refusaient presque de le soutenir. [...] Il avait eu tant de plaisir [...]. Il sentait en lui un vide, un anéantissement [...]. Envahi par une tristesse inexplicable, il alla s’asseoir sur les marches d’une église. Là, le dos appuyé contre une colonne, il se perdit dans une méditation confuse comme un rêve. La passion l’avait foudroyé. (L 247-249) donne lieu à ces commentaires caricaturaux : "tristesse post-coïtum", "colonne-phallus" ; "Lire dans la scène du théâtre un orgasme solitaire, substituer une histoire érotique à sa version euphémique, cette opération de lecture est fondée, non sur un lexique tout fait de symboles, mais sur une cohésion systématique, une congruence de rapports." (S/Z p. 126)

Or si l’on peut approuver l’avocat du pluriel subversif contestant l’existence de la littéralité ("vis-à-vis du texte il n’y a pas de langue critique "première", "naturelle", "nationale", "maternelle" : le texte est d’emblée, en naissant, multilingue", ibid.), et par conséquent le refus de Barthes de voir sa version de la scène reposer sur le code symbolique, lequel serait secondaire par rapport à la pseudo lecture littérale, en revanche il convient d’objecter que la séquence PLAISIR qu’il décèle dans ce segment textuel, même définie par antiphrase (Les sémèmes ‘vide’, ‘-néant-’, ‘envahi’, ‘tristesse’ imposant la paire sémique /résultatif/ + /dysphorie/), ressortit au préjugé psychanalytique typique des années 70, plaqué sur le texte. Car à ce stade du récit rien, sinon la castration prise comme prétexte, ne légitime la qualification d’euphémique concernant le segment étudié : comme l’indiquent ‘rêve’ ou ‘méditation’, les sémèmes ‘plaisir’ et ‘passion’ actualisent le sème /spiritualité/, tout au plus /extase/, mais non /sexualité (déviante)/, l’analyse dût-elle y perdre son piment. Il manque à ce sème au moins une instruction contextuelle. Si bien que les réécritures libidinales relèvent de l’interprétation extrinsèque (produisant des sèmes non actualisés dans une suite linguistique, au gré du récepteur, selon Rastier, 1989: 51, 279).

Remarque. Sans chercher à multiplier les exemples qui abondent, il faut signaler que Barthes récidive en ce sens dans le même type d’analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe (1973; soit dit en passant, parmi les cinq codes conservés, celui "de la Personne" y est arbitrairement remplacé par un "code de la communication" fort discutable) où, à propos de la vibration de la langue du mort (L 105), il décèle le même symbolisme : "la langue qui se meut s’oppose (paradigmatiquement) à la langue noire et boursouflée du mort médical (L 101). C’est donc la vie viscérale, la vie profonde qui est assimilée à la parole, et la parole elle-même est fétichisée sous les espèces d’un organe phallique qui entre en vibration, dans une sorte de pré-orgasme : la vibration d’une minute est le désir de jouissance et le désir de parole." Que d’efforts pour motiver un a priori interprétatif... Or en contexte l’émergence de la voix n’est orientée que vers la reviviscence ; c’est pourquoi une lecture aussi raisonnable que rationnelle s’en tiendra au symbolisme du combat de la Vie contre la Mort.

Cette contestation de la connotation (à laquelle ne se livrent pas Bremond & Pavel (1998) ; en revanche on renverra à Rastier (1987, ch. V) pour une révision radicale de ce concept "fourre-tout". Y est notamment remise en cause l’existence même de la catégorie sens dénoté vs sens connoté, dans un cadre théorique nouveau, contrairement à Barthes qui n’interrogeait que la hiérarchie des deux termes sans S/Z p. 13) due à son manque de fondement, ne relève ni d’un souci de sobriété, voire d’auto-censure, ni d’une version du rasoir d’Occam réprimant la propension à multiplier les sens figurés seconds. A preuve le sème crucial /féminité/, que nous actualisons avec Barthes, dans le syntagme demanda timidement la Zambinella d’une voix argentine et douce (L 418) qui contredit sa dénégation sincère : Si je n’étais pas une femme ? (L 417) Il en va de même de la paire /pathétique/ + /pervers/ dans Elle sourit tristement, et dit en murmurant : – Fatale beauté ! Elle leva les yeux au ciel. (L 423) par allusion au stéréotype pictural et à la "victime sadienne" que décèle Barthes. Relevant cette fois de l’interprétation intrinsèque, le sème récurrent connoté /sexualité déviante/ est acceptable et dénué d’exagération.

Ajoutons que le rapprochement de lexies fort distantes au sein de l’ensemble textuel, rendu possible par la cohésion sémantique, renforce cette acceptabilité. Tel, celui que nous effectuons contrairement à Barthes, entre la méditation confuse comme un rêve de Sarrasine ci-dessus (L 249), et

l’ouverture du récit, où le narrateur anonyme parle ainsi : J’étais plongé dans une de ces rêveries profondes la clôture évoquant la destinatrice du récit : Et la marquise resta pensive., la même expression servant à décrire le castrat au cours de l’orgie : la Zambinella, comme frappée de terreur, resta pensive. (L 364)

Reprises lexicales et parasynonymie sont autant d’indices de la proximité thématique des acteurs clés concernés. Pour établir la proportion la marquise est au narrateur anonyme ce que la Zambinella est à Sarrasine, il ne suffit pas d’observer que chaque couple vit une histoire d’amour déçu, mais que tous quatre sont indexés comme on le voit à l’isotopie /songe/, certes dans des situations tactiques différentes et cruciales. Le rapprochement mutuel donne alors du crédit au sens dérivé /envoûtement/ que l’on est fondé à inférer. Or, en rester à ces données renvoyant à la psychologie serait insuffisant si l’on ne décelait le sème aspectuel /imperfectif/ (avec son effet duratif), sous-jacent à la pose méditative, et dont l’importance dans la nouvelle n’a pas été relevée. Mais ce contenu ne peut qu’être occulté quand il n’est question que de la forme "récit-contrat" (S/Z p. 95) et de la réflexivité qu’elle induit : "ce qui est raconté, c’est le 'raconter'. Finalement, il n’y a pas d’objet du récit : le récit ne traite que de lui-même : le récit se raconte." (p. 219) On déplore alors avec Cl. Bremond "cette évacuation de tout contenu thématique déterminé" (1996: 155), pour affirmer au contraire, sans la déprécier, la plénitude sémantique du texte.

Remarque. Celle-ci paraît d’autant moins contestable que Barthes en constate l’effet au niveau proaïrétique (actionnel) : "Partir/voyager/arriver/rester : le voyage est saturé […] on dirait que le lisible a horreur du vide. […] La loi morale, la loi de valeur du lisible, c’est de remplir les chaînes causales" (S/Z pp. 112, 187). La difficulté qu’implique alors une telle "complétude" est celle de la construction des actants : en effet, comment décider à l’incipit si la danse des morts figurée par les arbres (monde du jardin) est pourvue du cas CAUSATIF relativement à ce spectre que figure le vieillard chez les Lanty (monde du salon), lui dont le cas inverse RESULTATIF fait l’intérêt de l’histoire par rapport à la jeune Zambinella qu’il fut ?

3. Parce qu’il subit la séparation artificielle des codes, ce qui nuit à l’unité de la description sémantique du contexte abordé.

Ainsi, par une sorte d’inconséquence que dénonce Cl. Bremond, le fait par exemple de situer les trois comportements du fils tour à tour béni vs maudit vs réconcilié (L 153, 168, 175) sur le seul niveau symbolique pousse l’auteur de la Logique du récit à s’interroger ingénument : "comment se fait-il que Barthes ne songe pas à recenser bénédiction, malédiction, réconciliation dans la liste des proaïrétismes ?" (1996: 142). Il observe en outre de façon plus générale que parmi les cinq codes "le proaïrétique et le sémique s’inscrivent dans une problématique souvent enchevêtrée avec celle du symbolique" (p. 135). Cela suggère tout l’artifice qui préside à leur traitement distinct.

Citons en ce sens un autre exemple : Sarrasine, mû par le désir d’un premier rendez-vous avec la Zambinella, lance à un inconnu : La mort dût-elle m’attendre au sortir de la maison, j’irais encore plus vite. (L 297) Or pourquoi restreindre le sens de cette phrase uniquement au niveau des deux actes, le "passer-outre d’un avertissement" et le "vouloir-mourir", et ignorer que ces Fonctions sont aussi des Indices de sèmes sur le caractère, tels /héroïsme/ + /ostentation/ ? Barthes n’est pas loin de reconnaître l’indigence de son commentaire en le complétant aussitôt ainsi : "l’acte s’inscrit dans une psychologie de la personne" (S/Z p. 142).

On en conclut que la connotation une fois située sur un code donné tend à occulter d’autres niveaux sémantiques, pourtant non négligeables. La polysémie textuelle est telle qu’elle convoque souvent simultanément les cinq codes pour un même syntagme. Il manque alors des critères pour hiérarchiser les parcours interprétatifs.

C’est précisément le constat que, dans le texte classique, "tout signifie sans cesse et plusieurs fois" qui obligeait Barthes à adopter une lecture au "pas à pas" (S/Z p. 18). Mais celle-ci reste lacunaire lorsqu’elle canalise arbitrairement dans tel ou tel code le contenu de segments textuels. En optant pour la description du "réseau indécidable des sens" et en renonçant à atteindre "la vérité" sémantique (S/Z pp. 101, 12), Barthes prend "le contrepied de la hiérarchie structurée chère aux sémiologues", critère essentiel de rationalité, comme le souligne Pavel (1996 b: 166). Il précise sa position dans son analyse du "conte de Poe, où très souvent une même phrase renvoie à deux codes simultanés, sans qu’on puisse choisir lequel est le 'vrai' : le propre du récit, dès lors qu’il parvient à la qualité d’un texte, est de nous contraindre à l’indécidabilité des codes. Au nom de quoi déciderions-nous ? [...] Dans un énoncé, plusieurs codes, plusieurs voix sont , sans précellence" (1973: 359). Si l’échec du critère de vérité est patent, l’autre terme de l’alternative que choisit Barthes, celui de l’écriture comme "volume d’indéterminations" (ibid.), n’est pas une solution descriptive tenable. Il convient d’opter pour la troisième voie, celle du critère de plausibilité, qui conserve la capacité de décider, une fois des contenus récurrents (ou thèmes) identifiés, sans restreindre leur pluralité a priori, lequel n’a la prééminence sur tel autre qu’a posteriori.

En outre, cette "sémiologie connotative" dont parle Pavel (1996 b: 167) paraît responsable du manque de rigueur interprétative et du rejet d’une quelconque totalité structurée. Le lecteur est ainsi incité à multiplier les relations des deux façons suivantes :

"Analytiquement, la connotation se détermine à travers deux espaces : un espace séquentiel, suite d’ordre, espace soumis à la successivité des phrases, le long desquelles le sens prolifère par marcottage, et un espace agglomératif, certains lieux du texte corrélant d’autres sens extérieurs au texte matériel et formant avec eux des sortes de nébuleuses de signifiés." (S/Z p. 15).

On aura reconnu la répartition en Fonctions vs Indices : le premier cas correspond aux "deux codes séquentiels : la marche de la vérité et la coordination des gestes représentés" (i.e. codes herméneutique et proaïrétique) ; le second aux trois autres codes (culturel, symbolique, sémique), qui eux sont "insoumis à la contrainte du temps", à l’ordre logico-temporel (S/Z p. 37). Or si "Ce qui éclate, ce qui fulgure, ce qui souligne et impressionne, ce sont les sèmes, les citations culturelles et les symboles, analogues, par leur timbre fort, la valeur de leur discontinu, aux cuivres et aux percussions", sur la métaphore de la partition musicale (p. 36), ce mode de présence du sens dans les segments narratifs ou descriptifs outrepasse la limite du faisceau de ces trois codes les plus libres, pour concerner tout type de sens connoté dans ses aspects disséminé et nébuleux. Cela est manifeste dans cette assertion de Barthes selon qui tout type d’unités issues des cinq codes "sont autant d’éclats de ce quelque chose qui a toujours été déjà lu, vu, fait, vécu" (p. 28), c’est-à-dire fondé sur la topique (selon Rastier).

L’auteur persiste dans cette optique, lors de l’analyse du récit de Poe : "le mode de présence du sens (sauf peut-être pour les séquences actionnelles) n’est pas le développement, mais l’éclat : appels de contact, positions de contrats […], éclats des références, des lueurs de savoir, coups plus sourds, plus pénétrants, venus de "l’autre scène", celle du symbolique, discontinu des actions qui se rattachent à une même séquence, mais d’une façon lâche, sans cesse interrompue" (1973: 358). Or ce mode de présence, qui peut être qualifié d’intuitif, ne saurait être un critère de description ; il est simplement lié à un processus perceptif qui identifie les unités sémantiques en les isolant, lesquelles impliquent pourtant leur inclusion dans un champ thématique développé en contexte. Barthes récuse précisément cette notion, ce qui induit une analyse certes dénuée de la lourdeur des répétitions de contenus récurrents, mais condamnée à l’oubli flagrant de tel ou tel sème, comme on a pu le relever. Si bien que le manque d’adhésion que rencontre une lecture si partielle provient de la soumission de l’onomasiologique (classes de signifiés et isotopies) au sémasiologique (analyse des contenus des lexies, sans regroupement des éclats sémantiques épars) qu’elle pratique.

Remarque théorique. Il est vrai que l’analyse sémique du lexique hors contexte, depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui encore, souffre de deux griefs persistants que V. Nyckees reprend à son compte. D’une part "c’est essentiellement l’intuition qui permet au chercheur d’extraire les traits sémantiques pertinents, en sorte qu’on ne peut imaginer de déboucher sur des résultats strictement analogues d’un chercheur à l’autre. La méthode employée demeure largement subjective." (1998: 232), accusation qu’il complète par le "sentiment d’arbitraire" face à une telle sélection. A celle-ci le sémanticien reproche d’autre part "une prolifération de sèmes très vite incontrôlable", lesquels sont conçus relativement à leur "explosion combinatoire" (236).
Or en contexte cela n’a lieu que lorsque l’on recense le contenu d’un sémème donné pour faire le compte des sèmes inhérents et/ou afférents qu’il a successivement actualisés. Dans ce cas il est vrai, il semble éclater en une gerbe de composants (cf. infra celle du sémème ‘plaisir’, dont les neuf occurrences comportent chacune de nouveaux sèmes que l’on se refuse à considérer comme superflus). V. Nyckees fournit lui-même la clé pour surmonter la difficulté : "nous l’avons souligné à maintes reprises, le nombre et la nature des sèmes dégagés pour un sémème dépend du nombre de lexèmes comparés et de la délimitation du champ." (235) Dans le corpus clos d’une nouvelle où les lexèmes sont en nombre fini et répartis dans des classes permettant de les comparer (cf. supra la paire générique //nature// vs //mondanité// recoupée par //éléments surnaturels//) les griefs d’arbitraire, de prolifération incontrôlable, de visée combinatoire sont caducs, selon les principes de la Sémantique Interprétative que nous ne pouvons rappeler ici. En outre, le fait que "les traits pertinents ne seront pas les mêmes selon que le sémème sera opposé à tel ou tel autre" (ibid.) prouve qu’ils résultent d’un rapprochement, lequel procède lui-même d’un parcours interprétatif. Ils équivalent à "des arrivées de sens", soumises au contrôle de ce qui est "comptabilisable", non plus à "des départs de sens" aussitôt oubliés ; on reprend ici les termes de Barthes, mais en inversant leur valorisation (1973: 332).

Pour en revenir à l’opposition cruciale /discontinu/ vs /continu/ (ce dernier sème indexant les codes de l’empirie et de la vérité, facteurs de "blocage", ceux "contre quoi s’établit le texte moderne", S/Z p.37), on observe qu’elle n’est pas exempte d’un préjugé esthétique, celui précisément qui concerne la voix emblématique du castrat. En effet, de même que le développement régulier et mélodieux de l’énigme et des séquences d’actions est heureusement interrompu par l’éclat des "cuivres et percussions", de même la sensualité de la musique italienne ressortissant au "modèle du lubrifié", au "lié de l’organisme" est tout aussi originalement contredite par l’envers de la Zambinella : "le discontinu, le divisé, le grinçant, le composite, le bizarre : tout ce qui est rejeté hors de la plénitude liquide du plaisir, tout ce qui est impuissant à rejoindre le phrasé" (pp. 116-117). Barthes voudrait trouver dans le contexte musical, présentant une dualité basique, l’alibi de deux types linguistiques de codes : n’y a-t-il pas là détournement et falsification ?

Quant à la dyade Fonctions vs Indices, indexée à la catégorie sémique ci-dessus et destinée à faire le départ entre les unités de contenu du récit obéissant ou non, respectivement, à l’ordre logico-temporel, elle suscite une autre critique. A propos du syntagme stéréotypé "Bond souleva l’un des quatre récepteurs" (1966: 178-79), Barthes soutenait que le morphème ‘quatre’ échappe à la description linguistique puisqu’il déborde la dénotation en connotant
- d'une part "le moment où l’on raccrochera" (réalisé en syntagme ou virtuel en paradigme), soit une Fonction, régie par la relation distributionnelle ;
- d'autre part "un concept nécessaire à l’ensemble de l’histoire (celui d’une haute technique bureaucratique)", soit un Indice, régi par la relation intégrative, dont la "nature verticale" et éclatante lui confère le statut privilégié "d’unité véritablement sémantique".

Or ce relais factice de la signification phrastique, assimilée au dénoté, par le sens à l’échelle du texte, identifié au contraire au connoté (fonctionnel ou indiciel) introduit une rupture qui n'a pas lieu d'être. Le contenu d'un syntagme donné relève selon nous de la linguistique textuelle qui, sémantiquement, décide de sa portée narrative ou descriptive. Autrement dit, le sens séquentiel – par exemple du nom "Enlèvement" subsumant des actions éparses corrélées – loin de s'opposer, appartient au sens linguistique qui le fonde.On s’aperçoit en outre que la bipartition n’est souvent qu’une façon de considérer la même unité, selon que l’analyste veut mettre en évidence son aspect narratif ou descriptif – sans oublier sa portée argumentative/explicative par ses traces d’idéologie (cf. infra les "opinions courantes" et "idées reçues" qui dévoilent "le démodé balzacien" et irritent manifestement Barthes par leur pseudo innocence, S/Z p. 211). Ainsi l’action d’entrer, rapprochée de son contraire ultérieur, sortir, s’intégrant à la séquence générique déplacements présentera par sa seule inversion dialectique un contenu plus dépouillé que dans la séquence dénommée STATUE (S/Z p. 263), alternant avec MENACE : Le chanteur, à moitié mort, demeura sur une chaise, sans oser regarder une statue de femme, dans laquelle il reconnut ses traits. (L 502-3) Si cette phrase comporte davantage d’Indices, et qu’une telle différence de degré est affaire de stratégie interprétative, l’essentiel est de constater que celle-ci ne cerne pas la cohésion sémantique, laquelle repose en revanche sur la récurrence du sème /immobilité/ (‘demeura’, ‘statue’) indissociable de la modalisation thymique (/dysphorie/ de ‘à moitié mort’, ‘sans oser regarder’ : /duratif/) et cognitive (‘reconnut’ : /ponctuel/).

On conclura la question de la séparation artificielle des codes par la nécessité de mettre à part celui qui est dénommé culturel, "par privilège" car il recouvre les "savoirs humains et opinions publiques", et ce "bien que tous les codes soient en fait culturels, […] l’instance du code [soit] essentiellement culturelle", comme le reconnaît Barthes à propos du conte de Poe (1973: 355). Si bien que les "stéréotypes", fondés sur le déjà-fait, le déjà-vu, le déjà-lu, le déjà-écrit, ne sauraient seulement concerner la logique des actions ou séquence proaïrétique (S/Z p. 26) ; ils englobent aussi les trois autres Voix.

Cela dit sans le préjugé esthétique qu’affiche Barthes : n’ayant pas de mots assez durs, il parle du "vomissement du stéréotype" à l’œuvre chez Balzac, par exemple à l’occasion des expressions l’effervescence ou  l’âme puissante attribuées à la jeunesse (S/Z pp. 130 et 104). Un grief complémentaire mérite d’être relevé : ces codes de référence – ici aux âges romanesques – "ont une sorte de vertu vomitive, ils écœurent, par l’ennui, le conformisme, le dégoût de la répétition qui les fonde" (p. 145) : pourquoi une telle condamnation alors que la répétition d’unités relevant d’autres codes en est exempte ? De notre point de vue, on se limite au constat de l’insistance, voire du martèlement (avec lesquels par exemple Balzac posait supra l’antithèse des deux lieux des Lanty, salon et jardin). Elle contraste de façon frappante avec la légèreté de l’allusion au scénario de la castration, qui reste un sujet tabou encore à la fin du récit : C’est moi, monsieur, qui ai doté Zambinella de sa voix. (L 470).

A commencer par celle de la Personne laquelle n’échappe pas au socialement normé (Rastier). Simplement, dans ce cas, si l’on peut s’accorder avec Barthes sur le rôle prééminent chez Balzac des topoï dans les majeures permettant à un exemplum de faire conclure à un signifié de caractère, telle la craintivité de la Zambinella révélée par sa peur avouée d’une couleuvre et rapportée à la faiblesse féminine en général, on contestera l’analogie selon laquelle "il y a entre le signifiant (avoir peur d’un serpent) et le signifié (être impressionnable comme une femme) la même distance qu’entre une prémisse endoxale (les êtres craintifs ont peur des serpents) et sa conclusion raccourcie (la Zambinella est craintive)." (S/Z p. 177) En effet la conception du "signifié comme conclusion", comme "vérité profonde ou finale", car "la vérité est ce qui complète, ce qui clôt" (p. 82), a quelque chose de fallacieux. Ce n’est pas parce que dans cette nouvelle le code de la Personne (son être caché) est étroitement associé au code de l’Enigme, qu’ils acquièrent une importance telle que les autres types de signifiés devraient être ravalés au rang instrumental de signifiants.

Barthes cependant prolonge cette dualité fallacieuse en affirmant que "si nous acceptons de relire le texte, […] c’est en fait et toujours pour un profit ludique : c’est pour multiplier les signifiants, non pour atteindre quelque dernier signifié." (p. 171) On retrouve dans cette opposition du n signifiants vs 1 signifié le dualisme des deux types d’écriture :

intransitive (sèmes /imperfectif/, /matériel/ : "on ne peut arrêter le mouvement dilatoire du signifiant", p. 129) transitive (/perfectif/, /spirituel/)

Pourquoi dénier au lecteur le droit à multiplier aussi les signifiés "pour un profit intellectuel", sinon encore une fois en vertu d’une position idéologique datée (1968) qui condamne ce dernier ainsi que tout ce qui apporte une clôture. On ne peut alors que contester cette idée simpliste selon laquelle "le critique refait le chemin inverse, remonte des signifiants au signifié" par rapport à l’auteur dont la "maîtrise du sens, véritable sémiurgie," consiste en ce qu’il "conçoit d’abord le signifié (ou la généralité) et lui cherche ensuite, selon la fortune de son imagination, de 'bons' signifiants, des exemples probants" (pp. 179-80), dans le sillage des classiques : ce qui se conçoit bien… Le lecteur aussi fait l’hypothèse d’au moins un signifié global devant une suite linguistique qui lui est proposée. Il n’est pas déterminé par le localisme des lexèmes qui s’y succèdent, mais exerce une compétence interprétative qui transcende le "pas à pas" sémasiologique.

Coupons là cette digression pour aborder le versant positif que concède Barthes aux stéréotypes. C’est parce que ce sont eux qui constituent le "moi" du lecteur que se trouve réduite la part du sujet phénoménologique, extra-textuel, au profit des réalités culturelles et textuelles. Au double "trucage" dénoncé (la "subjectivité pleine" ; "l’objectivité est un remplissage du même ordre") se substitue la révélation de déterminismes, où le sociologique le dispute au psychologique (S/Z pp. 16-17). Il y a plus : c’est contre ce dernier que s’élabore le distinguo : "ne pas confondre la connotation et l’association d’idées : celle-ci renvoie au système d’un sujet ; celle-là est une corrélation immanente au(x) texte(s) ; ou encore, si l’on veut, c’est une association opérée par le texte-sujet à l’intérieur de son propre système." (pp. 14-15) Ainsi, au-delà de la paire traditionnelle objectivité vs subjectivité, lesquelles "sont toutes deux des imaginaires" (p. 17), c’est la "systématique" du sens textuel, jouant de notations culturelles omniprésentes qui s’impose de fait à l’attention du lecteur.

Le repérage des traces du "discours social" (p. 154), dans le texte "mystérieusement ouvert" (p. 19), prend alors le dessus aussi bien sur la démonstration rationnelle d’une structure que sur la critique d’interprétation fondée sur une opinion (cf. Pavel, 1996 b: 168), car toutes deux, privilégiant la dénotation, définie comme vérité d’un sens objectif ou subjectif, manifesteraient "la fermeture du discours occidental" (S/Z p. 13). Or si l’on peut reconnaître la prééminence du fond topique dans le texte, on conteste l’idée qu’il serait incompatible avec la faculté – pourtant utile, méthodologiquement – de mettre en relation, "d’arranger" des éléments thématiques, plus ou moins doxastiques, qui s’organisent au sein du récit, parce que l’opération structurale impliquerait certaines des notions parmi celles récusées : le plein (objectif ou subjectif), le vrai (non le vraisemblable fondé sur la doxa - "ce qui fonde la majeure, c’est, conformément à la définition de l’enthymème, non une vérité scientifique, mais une opinion courante, une endoxa", S/Z p. 154), le dénoté, le naturel, l’innocent, le structuré, le fermé (linguistique de la phrase et du texte, science, critique), pour ne citer que les plus récurrentes.

4. Un dualisme problématique

Or c’est en refusant ainsi de compléter une plénitude par l’autre, au profit de l’étude du "volume signifiant de l’œuvre", du Texte comme "espace, procès de significations au travail, en un mot signifiance"(1973: 329-30), frappé du sceau de l’inachèvement (plus exactement, du triplet sémique /spatialité/, /dynamisme/, /imperfectivité/. Sont en outre niés les sèmes casuels inverses : /causatif/ (refus du déterminisme) et /résultatif/ (la production, non le produit). Toutefois il est intéressant de constater que cet "effilochage" du contenu textuel, s’il met à l’épreuve une autre systématique du texte acceptant le désordre et l’intuition, ne prône pas l’irrationalité, 1973: 358), que Barthes confère au concept de connotation son originalité, relativement à la définition usuelle qu’elle prendra à la suite de l’article phare de M.-N. Gary-Prieur (1971). Mais ne nous y trompons pas : en dépit des apparences, Barthes, quoi qu’il en dise, ne s’est pas départi du réalisme mental puisque la pluralisation des codes aborde le sens sous l’angle du "ça commence à parler" (1973, in fine), où l’on aura reconnu l’écoute de l’Inconscient du texte, à tout le moins de ses processus signifiants. L’abondance des références à la psychanalyse freudienne et lacanienne confirme cette personnification du "tissage textuel" en Voix off qui se font entendre – de la même façon S/Z s’inscrit dans la veine du courant marxiste, que ce soit par l’usage du code culturel destiné à dénoncer "l’idéologie bourgeoise" (p. 211) ou par la volonté de désaliéner de la société de consommation le (re)lecteur en l’incitant à devenir un producteur de sens (p. 22).

De sorte qu’au sein de la dichotomie suivante, telle qu’elle est analysée par les paires d’oppositions traditionnelles reprises à Gary-Prieur (1971: 97-100), l’autre originalité du sens connoté chez Barthes provient de ce qu’il en nie les qualificatifs de secondarité, de contingence, mais aussi d’affectivité et de subjectivité. Cela va à l’encontre du second volet du schéma suivant :

DENOTATION CONNOTATION
sens essentiel distinctif
(distinguant les référents)
sens contingent non distinctif (non référentiel)
substance (base) accident (ajout)
idée principale idée accessoire
ordre sémantique ordre stylistique
linguistique non linguistique
niveaux lexical-phrastique niveau textuel
langage intellectuel
commun à tous (dialectal)
langage affectif
individuel (idiolectal)
signification première signification seconde
de langue de parole
finie et objective infinie et subjective
relève d’une connaissance relève d’une appréciation
fonction informative fonction axiologique
"innocence" naturelle engagement culturel
scientifique
(science du général)
esthétique
(esthétique du particulier)
notion tournée vers le référent notion tournée vers le sujet parlant
réalisme physique réalisme mental
La dichotomie devenant fort à la mode à partir de ces années 70 ne sera nullement opératoire pour décrire les signifiés verbaux, en raison du dualisme philosophique évident qui la sous-tend. Ainsi la connotation serait dans cette optique à la fois
- un trait "qui ne permet pas d’opposer deux référents distincts", tel /vulgarité/ ne distinguant le contenu du lexème ‘bagnole’ du "normal" ‘voiture’ que par référence à la "situation psychologique ou sociale du locuteur" (V. Nyckees achève ainsi son panorama de la sémantique sur la thèse selon laquelle le sociologique le dispute au psychologique : "c’est l’histoire des communautés linguistiques – et non pas les capacités de conceptualisation d’esprits individuels réduits à leurs seules ressources – qui explique fondamentalement les significations linguistiques" (1998: 326). Quant à nous, nous n’entrons pas dans l’alternative de leurs fondements cognitif et/ou historique et rappelons que l’enquête étiologique ou archéologique du sens des mots ne saurait occulter sa description interne à l’aide d’échanges sémiques)
- et une "dénomination qui permet de mettre de côté, tout ce qui, dans le sens, relève du mentalisme" (ibid. 97-98).

Outre le double réalisme, les objections sont multiples à l’égard de ce tableau d’homologations. On retiendra seulement
- que la connotation n’est pas restreinte à la parole, pas plus que la dénotation à la langue (ibid. 106);

Cl. Hagège reprend la dichotomie, dont il explique le rôle : "L’évolution du vocabulaire est […] commandée par l’annexion, au champ du dénotatif, sens premier donné par le dictionnaire, du connotatif, c’est-à-dire du sens en relation avec une situation spécifique" (1985: 306) ; "les sens connotés, qui relèvent de la contingence des situations, peuvent en venir à s’intégrer dans le sens de base, et se solidifier en dénotations" (340). A tel point que le linguiste scinde le niveau sémantique en deux modalités qui renvoient aux deux réalités extra-linguistiques : (a) celle du codage ou référentielle : le sens comme représentation-description ; et (b) celle de la contingence ou pragmatique : le sens comme effet dans chaque situation dialogale ; outre la zone (c) – mentale – des signifiances inconscientes (287-95).

- que le qualificatif linguistique ne veut pas dire "qui concerne seulement les significations en langue" ; autrement dit que "la structure sémique linguistique" (ibid. 107) n’est pas restreinte au contenu dialectalement normé, mais qu’elle appartient aussi au sens textuel qui est un des faits de parole.

C’est précisément ce double réalisme

- qui dénie une autonomie aux sèmes, et fait dire par exemple à V. Nyckees "qu’on les reconstitue par abstraction" (1998: 209) – par précellence de l’esprit sur le contenu des mots – ou que "l’analyse sémique ne fonctionne de façon vraiment satisfaisante que lorsqu’elle s’applique à des substantifs désignant des êtres concrets" (233) – par précellence cette fois des choses sur le contenu ;
- qui empêche d’unifier le jeu des trois types de composants sémantiques, dont F. Rastier a fait la démonstration. Avec eux, le signifié des mots et syntagmes (non le sens des référents, l’Erlebnis, ni l’idée autonome vis-à-vis des mots) se décrit en sèmes (i) inhérents, (ii) afférents socialement normés, (iii) afférents idiolectaux. Ces derniers reprennent la définition du style comme "invention de réseaux connotatifs originaux" évoqués par H. Mitterand (cité par Gary-Prieur, p. 101). Soit un prétendu sens second qui, de fait, s’avère premier dans le système du texte (p. 103).

Conçue comme telle dans S/Z, la connotation permit une avancée notable que l’on doit accorder à Barthes : son usage, que d’aucuns diraient abusif, dans la prose de Balzac (ainsi que de Poe) qui se trouva soudain pétrie de codes, a démontré qu’elle ne se limitait en aucun cas au texte poétique, contrairement à une idée reçue dans les milieux linguistique et littéraire.

En lui opposant la dénotation comprise comme le sens que l’on pourrait qualifier de grammatical, celui du système morphosyntaxique ou du récit, Barthes est alors conduit à greffer sur le diptyque précédent, le suivant, dont les catégories décrivent deux types d’analyse textuelle "sans qu’on veuille ici les déclarer antagonistes", s’empresse-t-il d’ajouter (1973: 329-32) :

MODELE STRUCTURAL MODELE DE LA "SIGNIFIANCE" 
arrivées de sens
(cas /résultatif/)
départs de sens
(sèmes /inchoatif/, /causatif/)
intratextuel
intertextuel
fermé, rassemblé
ouvert, dispersé
unitaire
(atteindre le signifié)
multiple
(multiplier les signifiants)
sérieux
(de la composition)
ludique
(de la structuration)

Une objection, parmi bien d’autres : si l’on accepte la comparaison entre les deux diptyques, et que l’on s’accorde sur le caractère scientifique du sème isotopant comme un résultat (gage de légitimité), en revanche pourquoi restreindre la structure à l’unicité et au fermé, mais aussi dans le premier schéma à l’idée principale, générale et abstraite ?

La seule question a valeur de contestation, et pour étayer celle-ci, nous renvoyons aux commentaires ci-dessous afin d’éviter les redites. Retenons simplement que les homologations auxquelles procèdent aussi bien S/Z que l’analyse du conte d'Edgar Poe sont trop tranchées et abruptes, pour que l’on puisse adhérer à cette vue dichotomique.


B. Code sémique et thématique

1. Les relations intratextuelles : "la lecture, la mémoire"

Pour nécessaire que puisse paraître le concept suivant :

"on veut simplement qu’à chaque lexie il n’y ait au plus que trois ou quatre sens à énumérer" ; "le commentateur trace le long du texte des zones de lecture, afin d’y observer la migration des sens, l’affleurement des codes", par lesquels "il s’agit, non de manifester une structure, mais autant que possible de produire une structuration" (S/Z pp. 20, 27),

le segment textuel souffre de son isolement. La mémoire intratextuelle pour laquelle nous plaidons contredit "l’oubli" des sens au fur et à mesure qu’ils sont relevés, en quoi consiste la lecture selon Barthes ("c’est précisément parce que j’oublie que je lis", p. 18). Il néglige leur identification d’une lexie à une autre car il ne tient pas compte de ce niveau de globalité supérieur qu’est le texte. On aurait pourtant tout à gagner à ne pas établir séparément le contenu des acteurs du récit, afin de voir comment le sens migre de l’un à l’autre, plus exactement comment, explicite dans l’un, il est récurrent en tant que sous-entendu dans l’autre. Autrement dit, un sème inhérent à un endroit servira de révélateur à son afférence ailleurs. C’est en cela que la comparaison mutuelle peut combattre l’aléatoire interprétatif.

Par exemple, on rapportera les deux segments éloignés (a) et (b), où Barthes identifie le sème récurrent /composite/, au segment (c), où le même sème, ici oublié, doit être rétabli, en rapprochant la duplicité mentale de la Zambinella de celle des acteurs précédents : 

(a) concernant le narrateur anonyme : Ma jambe était glacée par un de ces vents coulis qui vous gèlent une moitié du corps, tandis que l’autre éprouve la chaleur moite des salons, accident assez fréquent au bal. (L 13) (b) concernant Sarrasine, tour à tour agissant ou passif, sans aptitude ou trop intelligent (L 159) (c) : le sculpteur put causer avec la cantatrice. Il lui trouva de l’esprit, de la finesse; mais elle était d’une ignorance surprenante et se montra faible et superstitieuse. (L 340 à 343, lexies étrangement scindées en quatre)

Passons à plus complexe. Après l’avoir entendue, Sarrasine la possédait, ses yeux, attachés sur elle, s’emparaient d’elle. Une puissance presque diabolique lui permettait de sentir le vent de cette voix (L 242). On ne voit pas pourquoi le sème /fascination/ n’est pas ici actualisé, alors qu’il l’était à propos du vieillard chez les Lanty : Il semblait que ce fût une personne enchantée (L 42) ; Caché pendant des mois au fond d’un sanctuaire inconnu, ce génie familier en sortait tout à coup furtivement, sans être attendu, et apparaissait au milieu des salons comme ces fées d’autrefois qui descendaient de leurs dragons volants pour venir troubler les solennités auxquelles elles n’avaient pas été conviées. (L 44). Ce sème spécifique se lie avec le générique /mythologie/ ; tous deux sont réitérés dans les trois segments qu’ils rendent inséparables.

De même, leur lien, pourtant requis, n’est pas établi avec le sème /hors-nature/
- qui indexe la malédiction vécue par Sarrasine qui, dépité, perd ses illusions devant la Zambinella : J’aurai toujours dans le souvenir une harpie céleste qui viendra enfoncer ses griffes dans tous mes sentiments d’homme, et qui signera toutes les autres femmes d’un cachet d’imperfection ! Monstre ! (L 527-528)
- qui indexe aussi l’avertissement initial concernant le vieillard, rapporté par le narrateur : Sans être précisément un vampire, une goule, une espèce de Faust ou de Robin des Bois, il participait, au dire des gens amis du fantastique, de toutes ces natures anthropomorphes. (L 33)

Le rapprochement de ces segments par leur thématique est dû à la sagacité du lecteur, laquelle contraste avec la naïveté du sculpteur; cela confirme la révélation du récit, à savoir qu’il s’agit d’un même être du fait qu’il conserve ses qualités de jadis à maintenant – permanence ontologique.

Chez Balzac, les reprises lexicales sont souvent un excellent indice de la cohésion sémantique qui sous-tend les contextes où elles apparaissent. Ainsi, les termes fantastique et spectre (L 83) qui caractérisent le vieillard étaient justement ceux qui décrivaient les arbres (L 8 supra). Leur emploi en cooccurrence dans ces deux seuls endroits de la nouvelle est suffisante pour induire quasi-nécessairement une connexion métaphorique mutuelle, à quelques pages de distance. Elle est validée par exemple par l’unité chromatique : la teinte jaunâtre du linceul lunaire du jardin annonce celle du crâne cadavéreux caché sous une perruque blonde. De sorte que l’identité qui se manifeste dépasse l’opposition générique /végétal/ vs /humain/. Ajoutons que celui qui est aussi appelé un squelette (L 133) était déjà apostrophé Monstre ! par Sarrasine dans le récit enchâssé (L 528) et qualifié de revenant par la compagne du narrateur dans le récit enchâssant (L 104) ; laquelle détourne aussitôt son attention vers une toile, qui semblait due à quelque pinceau surnaturel (L 109), indice que l’Adonis représenté a partie liée avec le vieillard et la Zambinella, en dépit de l’inversion sentimentale du dégoût en admiration. Tout cela montre qu’il convient de souligner la continuité thématique de l’art et du fantastique liés – dont la paire //peinture//+//mythologie// n’est qu’un secteur – au sein d’univers de parole a priori hétérogènes.

Le même souci de ne pas simplement énumérer les sens d’une portion textuelle locale, mais d’établir les relations entre acteurs disséminés dans plusieurs segments très distants, au niveau global du récit, doit guider l’analyste. A ce sujet, Barthes pose que "lire, c’est trouver des sens, et trouver des sens, c’est les nommer ; mais ces sens nommés sont emportés vers d’autres noms" (S/Z p. 17). Ce plaidoyer pour le fuyant lexical, que justifie "le sens glisse", aboutit à la conception idéale d’une "thématique infinie, proie d’une nomination sans fin", laquelle est dans les faits perfectivée par "la fatalité d’un coup de dés qui arrête et fixe le glissement des noms : c’est la thématique." (S/Z pp. 99-100)

Or cet appel au hasard – de type mallarméen – ne saurait fonder une méthode d’analyse, sinon irrationnelle. Au contraire, le nom d’un sens retenu par le lecteur sera celui qui s’impose à sa perception/compréhension parce qu’il est plus récurrent que d’autres et qu’il présente un intérêt dans une stratégie interprétative. C’est la théorie de l’isotopie qui légitime l’arrêt, le figement sur son nom, lequel ne sera pas ainsi oublié d’une lexie à l’autre, pas plus qu’il ne sera imprécis. Plus exactement, ce nom du signifié provient de l’analyse du contenu des mots ou syntagmes qui le lexicalisent diversement ; tel l’exemple que donne Rastier (1987: 193) de ‘vieillesse’ et ‘soir de la vie’ (voire ‘automne des jours’) recouvrant la molécule sémique /humain/, /temporalité/, /cessatif/, /dysphorie/. Voilà pourquoi l’on conteste que "bien que la connotation soit évidente, la nomination de son signifié est incertaine, approximative, instable" (S/Z p. 196). Il est intéressant de remarquer que Barthes adopte quasiment cette solution théorique, en dépit se sa réticence à l’appliquer – car elle l’orienterait vers la "totalité" qu’il récuse –, lorsqu’il reconnaît que "la rentabilité d’un sème, son aptitude à rejoindre une économie thématique dépend de sa répétition : […] le fantastique du vieillard n’a de valeur sémantique que si le dépassement des limites humaines, qui est l’un des composants primitifs du mot (l’un de ses autres noms), peut réessaimer ailleurs." (S/Z pp. 99-100)

Il constate par exemple que le sème /excès/, "nom maladroit de ce qui dépasse les limites et sort de la nature" (ibid.), est une définition essentielle aussi bien du jeune sculpteur Sarrasine que du vieillard surnaturel (mort et vivant, ni homme ni femme) qui inaugurait la nouvelle. Cette relation, à peine esquissée, ôte au sème récurrent l’instabilité et la dispersion que lui confère, de fait, le relevé de S/Z. Il n’en va pas différemment de l’antithèse centrale où, à propos de "ces débris humains" de vieillesse, "le maigre comme vide s’oppose à la plénitude drue, végétale, tendue de la jeune femme" ; la comparaison très localisée des deux figures humaines est certes convaincante (L 80 à 90), mais le sémantisme antithétique gagnerait en certitude et en validité à être rapporté aux lieux qu’il indexe aussi, comme l’ont montré supra les deux molécules sémiques isolées dans la description du ‘jardin’ (/vacuité/, /dysphorie/, etc.) vs du ‘salon’ (/plénitude/, /euphorie/, etc.).

Tout en refusant de la pratiquer dans sa lecture, Barthes reconnaît la nécessité de cette cohésion textuelle naissante lorsqu’il pose que "l’objet de la sémantique devrait être la synthèse des sens, non l’analyse des mots" (ibid.) ; ce faisant, il va bénéfiquement à l’encontre de la vue lexicaliste traditionnelle qui ne voit dans le contexte que le fond sans intérêt sur lequel se détache le mot à étudier.

2. Pour une vue non restreinte du sème

Il est dit d’emblée que le sème "constitue le signifié par excellence, tel que le désigne la connotation, au sens presque courant du terme" (S/Z p. 24). Encore faudrait-il s’assurer que le sème est une "unité du signifié" (S/Z p. 26), pouvant désigner en contexte aussi bien un processus qu’une qualité, un symbolisme qu’un savoir culturel, une modalité (par exemple véridictoire, celle du code de l’énigme) qu’un prédicat. Or pourquoi l’identifier à elle plutôt qu’à la dénotation et risquer ainsi de fragmenter par cette dualité la récurrence d’une même unité sémantique ? De plus, en ajoutant que ce "signifié est un élément migrateur, capable d’entrer en composition avec d’autres éléments du même genre pour former des caractères, des atmosphères, des symboles" (ibid.), il l’identifie à l’Indice, tel qu’il fut défini en analyse narrative. Ne voyant pas ce que l’analyse textuelle aurait à gagner à une soudaine primauté d’un statut connotatif et indiciel du sens, on refusera ces restrictions. L’on posera au contraire que le sème peut être aussi bien dénoté que connoté et qu’il recouvre des contenus qui, telle la paire /discontinu/ vs /continu/ par exemple (cf. supra), participent indifféremment aux Fonctions et aux Indices.

Si nous pouvons adhérer à l’idée que "le sème n’est qu’un départ, une avenue du sens. On peut arranger ces avenues en paysages divers : ce sont les thématiques" – forme d’organisation que Barthes refuse –, en revanche on ne s’accordera pas avec la restriction selon laquelle "le sème (ou signifié de connotation proprement dit) est un connotateur de personnes, de lieux, d’objets, dont le signifié est un caractère" –ses traits les plus fréquents étant /hors-nature/, /composite/, /excessif/. "Le sème est lié à une idéologie de la personne" (S/Z p. 196). Car //psychologie// n’est qu’un des domaines thématiques. Et l’on ne voit pas par exemple pour quelle raison des actions, donnant lieu à des unités narratives, ne demeureraient pas aussi des unités de signification. Qu’un code proaïrétique distinct les régisse ne fait qu’entretenir l’illusion qu’elles ne signifient pas comme le reste du texte.

Si les séquences proaïrétiques sont "le matériau privilégié d’une certaine analyse structurale du récit" (S/Z p. 210), elles ne s’enlèvent pas sur fond d’insignifiance, tels ces "menus comportements […] apparemment futiles", qui prouvent en réalité que dans un texte "tout signifie" (p. 58), notamment par le jeu aspectuel qu’ils requièrent : /inchoatif/ vs /cessatif/, /ponctuel/ vs /duratif/, /singulatif/ vs /itératif/, /perfectif / vs /imperfectif/, pour prolonger l’analyse de Barthes. Cela confirme le bien-fondé du projet de S/Z : fouiller un texte classique "jusqu’à l’extrême du détail", "remonter les veinules du sens" (p. 19).

Ainsi la séquence ENLEVEMENT (dont les termes constitutifs sont rassemblés dans S/Z p. 262) est selon nous une isotopie complexe dont les sémèmes constitutifs sont ordonnés temporellement : Sarrasine […] passa toute la journée occupé à former des plans plus extravagants les uns que les autres (L 455) précède l’utilisation d’une voiture de voyage attelée de chevaux vigoureux (L 463), et le rapt proprement dit de la Zambinella (L 498). Encore faudrait-il relever l’inversion dialectique des paires /rapidité/+/efficacité/ vs /lenteur/+/imagination/ (préparatifs) pour montrer ce souci de la conciliation des contraires qui hante le romancier.

Bien entendu, la séquence pourrait encore être rapportéé aux caractères des acteurs mis en présence. Ainsi les exempla relevés par Barthes (épisodes narratifs du " champagne " p. 153, du " serpent " p. 177, des " brigands " p. 179) convergent vers le même sème : /craintivité/ de ‘Zambinella’. Bien que ce signifié puisse correspondre à "une vérité profonde" du texte, de sorte que "l’espace sémique est collé à l’espace herméneutique" (p. 177), cela ne justifie pas que sa scission en trois Voix distinctes, "de l’Empirie, de la Personne, de la Vérité" (p. 28), vienne rompre la continuité thématique des passages.

Tel ce segment : Au lieu de chanter les louanges du Seigneur à l’église, il s’amusait, pendant les offices, à déchiqueter un banc (L 162). La transgression de Sarrasine, mentionnée, conduit à psychologiser son activité : "goût du déchiquetage" (S/Z pp. 101,197); comme lorsque, cette fois dans le domaine non plus religieux mais artistique, il morcèle le corps féminin (L 220). L’explication requise, non fournie par Barthes, est que les sèmes /itératif/ + /imperfectif/ inhibent la saillance de l’événement, ce qui rend l’amusement étranger à toute "suite d’actions", fût-ce celle de "menus comportements". De sorte que cette paire d’isotopies aspectuelles explique, au moins en partie, l’orientation de l’écoute vers les Voix préférentielles du Symbole et de la Personne.

On mesure la difficulté de séparer les codes sémique et proaïrétique, unis par ce "glissando causal" qui leur confère "un lien apparemment naturel" (S/Z p. 203). Il en va de même pour ceux-ci face au code herméneutique. En effet c’est bien le sème /énigmatique/ que lexicalise d’emblée cette mystérieuse famille des Lanty ainsi que sa modalisation épistémique Les croyez-vous aussi riches […] ? Personne ne savait, avant de se fixer sur l’un de ses membres, en l’occurrence le vieillard, ce personnage étrange (L 14 à 28). Dans un tel récit où le genre détective n’est vraiment illustré que dans ce récit enchâssant – non dans l’enchâssé, car par exemple lorsque le sculpteur pénètre dans ce mystérieux appartement de la Zambinella (L 311), le qualificatif excède son savoir et relève de l’omniscience du narrateur (Lequel élucide le ‘mystère’ alors que Sarrasine n’en a pas conscience : on voit ici que ce sémème clé doit faire l’objet d’une dissimilation en fonction de ses actants) –, Barthes restreint aussi le sens du mot thème : "appelons thème l’objet (ou le sujet) sur quoi portera la question de l’énigme" (S/Z p. 38). On objectera qu’il ne s’agit là que d’un parmi d’autres, certes valorisé tout au long du récit car il s’agit de celui qui amorce l’isotopie /quête de la vérité/, reprise entre autres par aussi, personne ne chercha-t-il à découvrir un secret si bien gardé (L 48). Or l’isotopie coïncide avec une action, ici cognitive, ce qui tend à démontrer que le code de l’énigme relève du code des comportements. Les frontières que délimite Barthes sont loin d’avoir l’étanchéité qu’il suppose ; partant, la séparation artificielle des cinq codes se trouve de nouveau confirmée.

Ajoutons que si la séquence cognitive acquiert une importance majeure, ce n’est pas tant parce que l’enquête menée en Italie sur la prima donna, via le désir qu’éprouve pour elle Sarrasine, prolonge celle initiale des curieux sur la famille des Lanty en France, qu’en raison du fait qu’elle détermine les quatre protagonistes centraux. Elle éclaire en effet le parallélisme les unissant, d’un point de vue global que n’affectionne pas Barthes, par un double contraste remarquable :

entre le narrateur anonyme JE qui, en sachant plus qu’il n’en dit, retarde la vérité sur le castrat, et le sculpteur décrit dans le récit enchâssé rétrospectif : comme le remarque Barthes, "ignorant les mœurs papales, Sarrasine meurt d’une lacune de savoir" (S/Z p. 190), soit /excès/ vs /manque/ entre la laideur cadavérique du vieillard repoussant, honteux de son vice connu, et la beauté extrême de la jeune partenaire de JE (alias Mme de Rochefide, aux L 275 et 543), au cours du récit enchâssant plus actuel ; très attirante, elle se proclame au contraire fière de sa vertu ignorée (L 559-60 finales)

Ce qui donne alors du sel à l’histoire c’est que les détenteurs de savoir (le narrateur JE et les Lanty, la Zambinella) sont en relation de désir avec ceux à qui il fait défaut (la marquise Rochefide et le sculpteur éponyme).

Remarque. La dimension épistémique semble négligée par l’analyse de Barthes, comme si la modalisation était secondaire par rapport à ce qu’elle détermine. Certes le syntagme Il eût été difficile de savoir à quelles extrémités Sarrasine se serait porté (L 281), conséquence de l’extrême violence de son caractère (L 355) ou de Il était la proie d’une sourde rage qui lui pressait le cœur (L 430), met en évidence l’isotopie /excès/, mais /hypothèse/ ne devrait pas y être oubliée, sous le prétexte fallacieux qu’elle est supportée en l’occurrence par des grammèmes (‘eût’, ‘serait’). Elle participe en effet à l’atmosphère primordiale du mystère.

Venons-en au problème de l’éparpillement des sèmes spécifiques récurrents, ceux notamment du vieillard (/énigmatique/, /fascinant/, /hors-nature/, /composite/, etc.). Devraient être justifiés (a) leurs liens mutuels, (b) leur articulation avec des intervalles dialectiques montrant comment s’opère l’acquisition et/ou la perte de ces traits. Or un tel résultat structural, a posteriori, va précisément à l’encontre de l’inférence progressive de sèmes connotés, telle que la préconise Barthes : "dans le système herméneutique, le signifié de connotation occupe une place particulière : il opère une vérité incomplète, insuffisante, impuissante à se faire nommer ; […] il est à la lettre un index : il pointe mais ne dit pas" (S/Z pp. 68-69). Retardant le dévoilement et suscitant l’attente, au contraire de la dénotation, il devient l’emblème du Désir, ce qui explique sa valorisation. Ainsi ce n’est que lorsque le lecteur comprend, à la différence du sculpteur naïf, qu’il ne s’agit que d’un castrat chantant sur scène, qu’il active l’afférence /manque/, laquelle s’intègre à l’isotopie /vacuité/ qui fait contrepoint à /plénitude/ (due aux admirateurs comblés). Cette paire de contraires alors réactivée, depuis le décor des Lanty, avec d’autres termes des groupements A et B (supra), constitue peu à peu le sens dénoté du passage : Quand la Zambinella chanta, ce fut un délire. L’artiste eut froid ; puis il sentit un foyer qui pétilla soudain dans les profondeurs de son être intime (L 230-233).

Si Barthes a tôt fait de reconnaître que "tout se tient" au niveau du contenu de la nouvelle : "c’est en somme le calcul qui fait le plein de cette littérature : la dissémination n’y est pas l’éparpillement perdu des sens vers l’infini du langage, mais une simple suspension – provisoire – d’éléments affinitaires" (S/Z p. 188), une telle organisation de l’objet étudié aurait dû en bonne logique le contraindre à en rendre compte. Pour notre part, nous y voyons une incitation moins à quadriller l’objet d’étude par le biais de métalangages abscons – on songe ici à certaine sémiotique –, qu’à rassembler et agencer des données sémantiques dans les éclats desquelles on aura accepté de se perdre dans un premier temps, la part faite à l’intuition n’étant pas antinomique de la rationalité.

Si l’on a réfuté la restriction du sème au domaine //psychologie//, on approuve en revanche sans contradiction l’idée que "la personne n’est qu’une collection de sèmes", plus exactement que son être n’est que le résultat du "matériau sémique" venu remplir son "nom propre" : "Dès lors qu’il existe un Nom (fût-ce un pronom) vers quoi affluer et vers quoi se fixer, les sèmes deviennent des prédicats, inducteurs de vérité [la vérité, c’est le prédicat enfin trouvé], et le Nom devient sujet." (S/Z pp. 197, 193), le récit étant – lorsqu’il porte sur une quête d’identité – "comme un sujet que l’on tarde à prédiquer" (p. 83). Cela explique que la référence aux qualités physiques, (comporte-)mentales d’un "personnage" provient du signifié verbal – pas seulement celui des substantifs ou des adjectifs comme le mentionne Barthes, mais du sens de tout type de mots. Poussons la logique jusqu’au bout : puisqu’avant d’être envisagé comme existant, avant d’être pourvu d’une représentation, "le personnage" est un effet de contenu textuel, il n’y a pas lieu selon nous de rendre mutuellement incompatibles ses deux réalités, d’abord linguistique, ensuite extralinguistique. Voilà pourquoi l’on conteste l’antinomie que décèle Barthes entre la "liberté" de ses actes et "la contrainte implacable du discours", plus largement entre les "déterminations référentielles" et le monde du "papier" (S/Z p. 142). Si le lecteur attentif parvient à déjouer la "mécanique" narrative, laquelle justifie par exemple le silence qu’impose Sarrasine à la Zambinella sur le mot de castrat ("la loi de fer du récit voulant qu’il continuât encore", p. 184), il ne quitte pas le plan textuel en cernant la consistance sémantique interne du personnage qui semble le doter d’une vie : ainsi le Oh ! tais-toi, dit l’artiste enivré (L 451) réactive les isotopies /enthousiasme/, /excès/ l’ayant auparavant indexé.

De même, la "colle logique joignant les événements relatés" dans une histoire formant un tout bien calculé et "régi par le principe de non-contradiction" (S/Z p. 162) n’empêche pas ces actions jointes d’avoir une vraisemblance et de renvoyer au monde extra-verbal où elles pourraient être vécues et ainsi avérées. Simplement les inversions de contenus auxquelles elles donnent lieu (ne serait-ce qu’au niveau évaluatif, avec la célèbre catégorie /euphorie/vs/dysphorie/) se laissent appréhender par la dialectique qui décrit les processus affectant les signifiés situés dans des intervalles de temps. Pourquoi la mise à jour d’un tel fonctionnement devrait-il alors revêtir une allure d’artifice, laquelle ôterait au récit l’innocence et le naturel des catégories du Faire et de l’Etre qui le constituent ?

Conclusion

A travers la grille des cinq voix, de ces "codes à caractère purement sémantique" dont Pavel dénonce les "jeux quasi arbitraires" (1995: 100), la mise en évidence d’un fonctionnement possible du texte est une entreprise remarquable qui force l’admiration tout autant qu’elle suscite des réserves. La principale d’entre elles est ce goût de l’inachèvement, de l’infinitude, de l’insaisissabilité que l’on ne saurait approuver. Si l’on peut admettre que "pour le texte pluriel, il ne peut y avoir de structure narrative, de grammaire ou de logique du récit" (S/Z p. 12), en revanche le jugement selon lequel "la structuration de la lecture est plus importante que celle de la composition (notion rhétorique et classique)" (1973: 332) est selon nous sans fondement. On considère ainsi que le fait "d’arranger" les sèmes préalablement pluralisés est une étape ultérieure à S/Z qui ne lui est nullement incompatible.

D’ailleurs, quelles que soient les réserves qui y sont exprimées à l’égard de la rhétorique, le recours constant qui y est fait à l’inférence, à l’Antithèse, aux exempla, aux topoï, etc. révèle l’importance pour l’analyse textuelle de Rhetorica contre Grammatica et Logica, dans le trivium. En témoigne encore l’adoption de la dualité classique littéral vs spirituel, par rapport à laquelle est rejetée la dénotation définie comme sens premier et/ou dernier, globalisant et clôturant ("un méta-sens, qui serait la construction finale", S/Z p. 21) : il enfermerait le contenu textuel dans l’univocité d’une " macro-proposition " de type logico-grammatical censée le refléter (on songe ici à la sémiotique de Van Dijk). En voulant "substituer au simple modèle représentatif", celui qui "abstrait et égalise" et fait siennes les notions de vérité et de référence, le "modèle productif" qui fonde l’interprétation pluralisante au pas à pas (S/Z p. 19), Barthes entraînerait l’adhésion s’il tolérait l’organisation, la hiérarchisation des unités sémantiques ainsi produites. Libre au lecteur, selon un critère de rationalité et de lisibilité que niait la vague déconstructionniste des années 70, d’élaborer sa propre construction thématique, qui, comme le rappelle Rastier (1989), est de l’ordre du sens plausible et non de l’ordre "d’un sens vrai" (S/Z p. 13), antinomique du "pluriel" (cela dit, bien évidemment, sans aucune "connotation politique" ; la précision n’est pas inutile en ce début de millénaire où le mot revient à la mode dans ce domaine). C’est sur cette base que l’on conçoit une science du particulier, qui n’est pas "in-différente" (p. 9).

Il ne s’agit pas en effet, pour reprendre les termes trompeusement simplificateurs de la dualité, de réduire à un "sens dénoté" mais d’organiser les "sens connotés". L’éloge de la fuite et de l’ouverture, comme manières d’envisager le contenu textuel ("éviter de lui donner ce supplément de structure qui lui viendrait d’une dissertation et le fermerait : c’est étoiler le texte au lieu de le ramasser", S/Z p. 20) ne constitue à nos yeux que la première étape analytique. S’il est incontestable que "le texte est plein de sens multiples, discontinus et entassés" (p. 206), vouloir le "briser" et le "malmener" n’est qu’une façon de se complaire dans la confusion. Comment clarifier son contenu sans lui faire perdre sa densité ?

Proposition

Pour résoudre le dilemme mais aussi esquisser un semblant de méthode afin d’entrer dans la plénitude sémantique du texte, on se propose d’utiliser les banques de données. Il n’est pas ainsi déplacé, devant une nouvelle dominée par les domaines mondain, artistique et amoureux, de recenser les neuf occurrences au total du lexème "plaisir(s)" – contre six seulement de "désir(s)" – que le logiciel FRANTEXT permet d'obtenir. Leur apparition dans un contexte minimal, non limité à la phrase, favorise les parcours interprétatifs, lesquels prennent leur intérêt dans la comparaison mutuelle du contenu des segments resitués dans la globalité du récit :

Occ. 1 (L 190-93) : Il se sentait si gêné chez Mme Geoffrin et dans le grand monde où Bouchardon essaya de l’introduire, qu’il préféra rester seul, et répudia les plaisirs de cette époque licencieuse. Il n’eut pas d'autre maîtresse que la Sculpture et Clotilde, l’une des célébrités de l'Opéra. Encore cette intrigue ne dura-t-elle pas.

Occ. 2 (L 217-19) : L’illusion de la scène, les prestiges d'une toilette qui, à cette époque, était assez engageante, conspirèrent en faveur de cette femme. Sarrasine poussa des cris de plaisir. Il admirait en ce moment la beauté idéale de laquelle il avait jusqu'alors cherché çà et là les perfections dans la nature,

Occ. 3 (L 247-49) : Ses jambes tremblantes refusaient presque de le soutenir. Il était abattu, faible comme un homme nerveux qui s'est livré à quelque effroyable colère. Il avait eu tant de plaisir, ou peut-être avait-il tant souffert, que sa vie s’était écoulée comme l’eau d’un vase renversé par un choc. Il sentait en lui un vide, un anéantissement semblable à ces atonies qui désespèrent les convalescents au sortir d’une forte maladie. Envahi par une tristesse inexplicable, il alla s’asseoir sur les marches d’une église.

Occ. 4 (L 251) : Il tomba dans un de ces paroxysmes d'activité qui nous révèlent la présence de principes nouveaux dans notre existence. En proie à cette première fièvre d'amour qui tient autant au plaisir qu'à la douleur, il voulut tromper son impatience et son délire en dessinant la Zambinella de mémoire. Ce fut une sorte de méditation matérielle.

Occ. 5 (L 273-75) : Sarrasine […] sentait son cœur se gonfler si fort à des idées si ambitieuses, qu’il remettait ces soins au lendemain, heureux de ses souffrances physiques autant que de ses plaisirs intellectuels. - Mais, me dit Mme de Rochefide en m’interrompant, je ne vois encore ni Marianina ni son petit vieillard.

Occ. 6 (L 297-300) : La mort dût-elle m’attendre au sortir de la maison, j’irais encore plus vite, répondit-il. - Poverino! s'écria l’inconnu en disparaissant. Parler de danger à un amoureux, n’est-ce pas lui vendre des plaisirs ? Jamais le laquais de Sarrasine n’avait vu son maître si minutieux en fait de toilette.

Occ. 7 (L 350) : Sarrasine […] était, comme tous les amants, tour à tour grave, rieur ou recueilli. Quoiqu’il parût écouter les convives, il n’entendait pas un mot de ce qu’ils disaient, tant il s’adonnait au plaisir de se trouver près d’elle, de lui effleurer la main, de la servir. Il nageait dans une joie secrète.

Occ. 8 (L 394-95) : La gaieté, un moment réprimée par les combats que chacun avait livrés au sommeil, se réveilla soudain. Hommes et femmes, tous paraissaient habitués à cette vie étrange, à ces plaisirs continus, à cet entraînement d’artiste qui fait de la vie une fête perpétuelle où l'on rit sans arrière-pensées. La compagne du sculpteur était la seule qui parût abattue.

Occ. 9 (L 531-34) : Deux grosses larmes sortirent de ses yeux secs, roulèrent le long de ses joues mâles et tombèrent à terre : deux larmes de rage, deux larmes âcres et brûlantes. "Plus d’amour! je suis mort à tout plaisir, à toutes les émotions humaines." A ces mots, il saisit un marteau et le lança sur la statue avec une force si extravagante qu’il la manqua.

Gloses :

Une remarque liminaire conduit à observer que les neuf occurrences se situent dans le récit enchâssé (en dépit de l’interruption par la partenaire à l’Occ. 5) et se colorent donc des sèmes /italianité/ et /amour déviant/ qui en sont typiques, sauf l’Occ. 1 où le départ pour l’Italie n’a pas encore eu lieu (seulement à la L 197).

Il revient au contexte de déterminer l’acception du mot : alors qu’à l’Occ. 1 ‘époque licencieuse’ et ‘autre maîtresse’ assimilent plaisirs à l’effet superficiel de distractions sensuelles, aux Occ. 2, 3 et 4 la passion esthétique intense fait du plaisir – au singulier – cet état affectif profond qui bouleverse le sujet ; les autres Occ. signifiant un sentiment agréable intermédiaire.

Venons-en au détail des comparaisons entre les neuf occurrences.

A l’OCC. 1, le segment est dominé par la "protection contre la sexualité" (selon Barthes) ; en revanche à l’OCC. 8 Sarrasine s’adonne aux excès orgiaques ; non seulement il n’est plus protégé, mais un contexte plus large montre que la vie festive italienne présente des dangers, latents au sein de la troupe environnant la Zambinella, qui étaient absents du "grand monde" parisien à l’Occ. 1. Notons que thème du plaisir non partagé, normal pour un castrat, confirmé à l’Occ. 8 par le fait que la " compagne " de Sarrasine ne goûte pas la ferveur collective normale (selon le topos l’insouciance de la vie d’artiste), touche aussi par contagion le sculpteur, qui se prive à l’Occ. 1 (" répudia ").

Incidemment l’on constate qu’un sens est en contexte à la fois dénoté et connoté, et que la prééminence d’un statut sur l’autre n’apporte rien à l’analyse, notamment dans cette Occ. 8 où le syntagme plaisirs continus lexicalise un sémantisme qui est réitéré , mais cette fois en tant qu’afférence, dans la gaieté se réveilla et une fête perpétuelle où l’on rit sans arrière-pensées. La paraphrase qui se manifeste ainsi met localement en évidence la primauté de ce sens, quelle que soit la façon dont il est exprimé.

A l’OCC. 6, avant d’aller côtoyer la Zambinella Sarrasine revêt un habit qui, dans le code Symbolique de Barthes, trahit "la fin de son pucelage". Or cette isotopie érotique des plaisirs, confirmée par le contexte de ‘amoureux’, fait l’objet d’une dramatisation thématique car elle implique celle du risque mortel, par le défi de Sarrasine. Son "passer-outre" l’avertissement constitue une erreur – aveuglement qui met au premier plan la modalité cognitive – si l’on se reporte au dénouement.

Elle réapparaît d’une autre façon à l’OCC. 7, lorsqu’il donne le change durant ce festin. Sa "joie secrète" souligne par assimilation la valeur sentimentale de ‘plaisir’ au singulier (dans le contexte mental de ‘recueilli’, ‘entend-’, ‘écoute-’) ; il l’éprouve sans le montrer, par une duplicité que Barthes rapporte au code culturel de l’Amour. L’erreur est alors du côté de l’observateur naïf potentiel de la scène, que le narrateur suppose non omniscient, contrairement à lui.

Dans les lexies des Occ. 2, 3 et 4 fortement unies, que nous allons étudier, le thème qui nous occupe se trouve réparti et fractionné dans les quatre séquences proaïrétiques : THEATRE, PLAISIR, SEDUCTION, VOULOIR-AIMER (S/Z p. 260), si bien que, dans notre optique, elles rompent l’unité sémantique. A leur propos, si le nom qui "coiffe" chaque "suite d’actions" est régi par un "acte de transcendance lexicale" (S/Z pp. 89, 209) par lequel "plus la nomination est générique, plus l’assujettissement est fort" (p. 136), cette opération narrative qui, comme le rappelle Barthes, est aussi un secteur important de la thématique (p. 99), ne fera pas oublier la recherche de sèmes communs aux fragments textuels qui sont subsumés par ces noms d’épisodes, sans quoi la cohésion sémantique qui peut s’établir entre eux serait négligée. Précisons que la terminologie générique / spécifique des sèmes, que nous reprenons à la théorie de F. Rastier, leur est étrangère.

L’apparition sur scène de la zambinella à l’OCC. 2 provoque un plaisir intense (la naissance de l’amour provient du choc esthétique : "beauté idéale", "perfections" dans l’art, hors nature), confirmé par les traces pathologiques de Sarrasine quand il quitte le théâtre à l’OCC. 3.
Cf. supra notre critique de l’euphémisme. Nous nous en tenons à La passion l’avait foudroyé. (L 249) Le fait que le sème /sexualité/ soit inhérent à ‘castrat’ ne suffit pas à justifier son afférence au ‘plaisir’ du sculpteur venu l’écouter.
On obtient ainsi l’opposition sémique et locative :

dedans : /inchoatif/ (début du spectacle) + /plénitude/ dehors : /cessatif/ (fin du spectacle) + /vacuité/

qui distingue le plaisir imperfectif ("il admirait en ce moment", Occ. 2) du plaisir perfectivé ("il avait eu", Occ. 3).

Consécutivement,alors qu’à l’Occ.3 "souffert" et "tristesse" sont respectivement situés dans des intervalles temporels antérieur et postérieur au "plaisir" (encadrement dialectique qui traduit son aspect /singulatif/, cette fois lié à /euphorie/ – vs Groupement A supra), en revanche à l’OCC. 4 cet amour-maladie dont parle Barthes contredit le plaisir par la douleur, simultanément, dans une même "fièvre", donnée comme la véritable cause de l’acte créatif (son épithète "première" réactivant la paire /inchoatif/ + /plénitude/). C’est là une variation sur le style antonymique balzacien qui frappait Barthes par la présence de la nette antithèse et qui se manifeste ici d’une autre manière à travers l’oxymore "méditation matérielle".

L’OCC. 5 va dans le même sens, comme le confirme la réactivation du sème /composite/ par Barthes constatant combien "les contraires se mêlent" chez Sarrasine. Néanmoins la thématique des antonymes s’est modifiée par rapport à l’Occ. 3, car ici les souffrances ne sont plus morales et les plaisirs ne sont plus physiques, mais inversement (ce qu’explique la L 270 précédant l’Occ. 5 : Sa passion devint plus profonde en devenant plus tranquille.). La raison de l’intellectualisation de l’intense plaisir réside dans le fait qu’il n’est plus indexé à l’aspect /singulatif/ lié à la paire /inchoatif/ + /plénitude/ de la Zambinella vue et entendue au théâtre, mais bien à /itératif/ de sa fréquentation (cf. L 268-69  : D’abord il se familiarisa graduellement avec les émotions trop vives que lui donnait le chant de sa maîtresse ; puis il apprivoisa ses yeux à la voir).

Revenons au trio des OCC. 2, 3 et 4 unies par l’épisode de la première apparition sur scène. Son isotopie générique /art/ s’articule en un changement de lieu (théâtre vs domicile), où le dessin, la peinture et la sculpture prennent le relais du chant et du corps en spectacle. Pourquoi rompre cette importante unité thématique par l’artefact de séquences actionnelles dont nous parlions ci-dessus ?

D’autre part, après "l’illusion de la scène", les verbes "révèlent" et "tromper" poursuivent sur la modalisation épistémique de l’activité artistique (Occ. 2 et 4). L’intensité de l’émotion, du désir et du secret pousse plus que jamais à déchirer classiquement les voiles de l’apparence pour atteindre l’essence, ici d’un corps. En outre Mme de Rochefide par son aveu à l’Occ. 5 ("je ne vois…") fait preuve d’un manque de sagacité quant au rapport entre les deux récits (enchâssant/enchâssé) : lui échappe le sème /composite/ qui affecte Sarrasine face à la cantatrice comme il l’affectait, elle et le narrateur JE, devant le vieillard chez les Lanty (qui introduisait le froid dans le chaud et troublait les plaisirs mondains de la jeune femme par la peur de la mort qu’il provoquait chez elle ; cf. L 69).

Enfin l’OCC. 9 confirme la paire sémique /cessatif/ + /vacuité/ du plaisir perfectivé, dont la charge sentimentale provient de son inclusion dans les "émotions". Le style antonymique se traduit par la substitution de /dysphorie/, d’abord par la "rage", voisine de "mort" affective chez Sarrasine, laquelle deviendra physique par son assassinat (L 538). Plus exactement il s’agit d’une inversion dialectique, où, par rapport à l’Occ. 1, la passion amoureuse et artistique est devenue tentative de destruction de la statue car le sculpteur a pris conscience de la féminité illusoire du castrat. Ajoutons qu’au niveau dialogique, son monologue montrant qu’il assume cette perte ("Plus d’amour ! je suis mort à tout plaisir") fait de cette Occ. 9 une exception parmi toutes les autres.

Barthes y évoque à bon droit une "contagion de la castration" (bien qu’il exagère plus d’une fois, par exemple quand il oppose ainsi la séquence actionnelle vide à la pleine : "le proaïrétisme, lorsqu’il est réduit à ses termes essentiels, […] devient lui-même un instrument castrateur" (S/Z p. 111). Cl. Bremond (1996) a souligné l’excès de la propagation du " virus ") : il est vrai que depuis que Zambinella a reconnu la sienne au niveau physique, avec l’aveu de sa tromperie (L 512), elle s’est propagée mentalement chez Sarrasine, qui ne songe plus qu’à s’auto-détruire (via son œuvre).

Voilà comment l’on se propose de comparer le contenu de ces neuf occurrences en contexte, sans plus le structurer. Nul doute qu’il est réitéré dans l’ensemble du récit bien au-delà de cette entrée restrictive par le choix d’un seul lexème (mot-pôle). C’est ainsi que l’on conçoit le passage du niveau local au niveau global.

Que montre cette autre façon d’étoiler le texte balzacien si ce n’est qu’on le conçoit comme "une structure de signifiés" à partir de segments qui constituent "une galaxie de signifiants". Il est donc temps de sortir de cette alternative spécieuse (S/Z p. 12) pour que des mots-pôles, disséminés dans les lexies, trouvent des parcours interprétatifs leur restituant une cohésion sémantique textuelle.

Il y a plus. Pour replacer la thématique du mot, dans cette nouvelle, au sein de l’univers de son auteur, l’appel au logiciel HYPERBASE s’avère plus que probant. Cette base de données comporte en effet 49 romans de Balzac (pour se limiter à lui) dont chaque mot fait l’objet de calculs statistiques, outre son apparition en contexte. Ainsi, concrètement, pour ne retenir que les deux récits les plus représentatifs de la base, du point de vue quantitatif du lexème qui nous occupe, on citera :

Une des 38 Occ. de plaisirs dans Le lys dans la vallée (sur 485 Occ. du mot au pluriel dans toute la base), avec le plus fort écart réduit de + 6.5 :

Une des 30 Occ. de plaisir dans La fille aux yeux d’or (sur 1027 Occ. du mot au singulier dans toute la base), avec le plus fort écart réduit de + 7.8 :

Quant à vous, Félix, […] n’était-ce pas le comble de l’égoïsme que de vous demander de sacrifier à un avenir impossible les plaisirs les plus immenses, puisque pour les goûter une femme abandonne ses enfants, abdique son rang, et renonce à l’éternité. Qui donc domine en ce pays sans mœurs, sans croyance, sans aucun sentiment ; mais d’où partent et où aboutissent tous les sentiments, toutes les croyances et toutes les mœurs ? L’or et le plaisir.
Glose : On a choisi une phrase représentative du dilemme vécu par la locutrice Henriette de Mortsauf, celui d’accueillir Félix sans sacrifier ses valeurs familiales (fidélité) et religieuses (vertu) ; de sorte que le sémème ‘plaisirs’, pour valorisé qu’il soit dans cette chaste relation affective, active l’isotopie dominante /culpabilité/. Glose : Par assimilation avec le métal précieux, l’isotopie /matérialisme/ est activée dans ‘plaisir’, et présentée comme à l’origine et au terme de toute forme de spiritualité, sur laquelle elle exerce une totale hégémonie dans le Paris pervers décrit à l’incipit.

Il resterait alors à comparer le contenu de ces nouveaux segments fournis par le logiciel. C’est sur un tel "fond" balzacien que la "forme" sémantique constituée dans Sarrasine a tout intérêt à se détacher. Il revient alors à cette comparaison, rationalisée, de fonder la notion d’intertextualité que Barthes appelait de ses vœux mais qui restait très intuitive et floue, faute de corpus à interroger méthodiquement.

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Si l’on en revient, en guise d’épilogue, aux deux diptyques précédents, on peut désormais avancer que les visées intertextuelle et intratextuelle, multipliant les parcours interprétatifs, ouvertes sans se disperser, ne sont nullement incompatibles avec le sens conçu comme une "arrivée", comme un ensemble "fini" d’unités. On conclura sur ce point qui ne renoue pas avec un premier structuralisme : en effet, une fois écartée la "vue atomisante", dont parle Cl. Hagège, qui "impose des traits minimaux et universels de sens", réflexion sur des primitifs ou noèmes qui excèdent notre propos (1985: 386-87), il n’y a pas de contradiction à poser l’intérêt de l’isolement "d’un nombre fini d’invariants sémantiques" (ibid. p. 80) qui se manifestent au fil de l’analyse. Relativement à un corpus fermé, la construction du thème à partir d’une entrée lexicale doit ainsi permettre d’aboutir à un ensemble de sèmes récurrents, lesquels organisent le contenu textuel. Face à de tels invariants sous-jacents à divers segments descriptifs et narratifs, on évitera l’écueil du réalisme en n’émettant pas d’hypothèses quant à leur existence a priori dans l’esprit de l’auteur étudié ou dans le monde de ses fictions tel qu’il est textualisé.

Bibliographie spécifique :

- BARBERIS, Pierre (1971) A propos du S/Z de Roland Barthes, L’année balzacienne, pp. 109-123.
- BARTHES, Roland (1966) [1985] : Introduction à l’analyse structurale des récits, L’aventure sémiologique, Seuil.
- BARTHES, Roland (1970) : S/Z, Seuil, coll. Points-Essais.
- BARTHES, Roland (1973) [1985] : Analyse textuelle d’un conte d’Edgar Poe, L’aventure sémiologique, Seuil.
- BREMOND, Claude (1996) : Variations sur un thème de Balzac, Communications 63, pp. 133-158.
- BREMOND, Cl. & PAVEL, Th. (1998) : De Barthes à Balzac, Albin Michel, coll. Idées.
- GARY-PRIEUR, Marie-Noëlle (1971): La notion de connotation(s), Littérature 4, pp.96-107.
- PAVEL, Thomas (1988) : Univers de la fiction, Seuil.
- PAVEL, Thomas (1995) : Mutations et équilibres dans la critique française récente, Littérature 100, pp. 92-104.
- PAVEL, Thomas (1996 a) : Allusion et transparence. Sur le "code culturel" de Sarrasine, Travaux de Littérature IX, pp. 297-311.
- PAVEL, Thomas (1996 b) : S/Z : utopie et ascèse, Communications 63, pp. 159-174.
- Brian Gill
- Andy Stafford
- H. Morgan contre les Structuralistes