b) Conclusions concernant la thématique et les modalités
Sans chercher à isoler dans ce récit des contenus achroniques et immanents, comme cela fut pratiqué par la première méthode structurale, il paraît nécessaire de préciser quels ont été les composants de la dualité thématique. Etablie dès la première journée, elle est synthétisée par Patricia, qui tour à tour sacralise et désenchante, elle-même modalisée par le sème /duplicité/ (de ses trompeuses apparences). Ainsi a-t-on pu constater que JE assume deux groupements sémiques contraires qui alternent au cours du récit, tout en conservant un ordre dialectique global puisque le second présuppose le premier qu’il vient contredire, dans un manichéisme évident qui contribue à situer ce roman dans le genre de la " littérature populaire " – cela dit sans dépréciation aucune :
Molécule 1 de l'euphorie |
Molécule 2 de la dysphorie |
osmose, franchise (adaptation) vs
racisme, bravoure, ruse (colonisation)
harmonie avec les bêtes vs harmonie avec les Masaï (complicité positive) vs (complicité négative) douceur mythique vs violence mythique (jeux Belle & Bête) vs (impitoyables Masaï) dynamisme souple vs dynamisme heurté magie positive vs magie négative sacralisation vs désenchantement plénitude merveilleuse vs vacuité terre-à-terre rêve éveillé vs "rendre à la conscience" poéticité, spiritualité vs prosaïsme, matérialité profondeur vs superficialité initiation au mystère vs mystère persistant (savoir et ressentir) vs (ignorer) lucidité vs inconscience africanité vs européanité liberté (aventurier) vs convention (gentleman) hors-norme (paradoxe) vs norme (doxa) inchoatif, duratif vs cessatif, ponctuel (patience) vs (impatience) monde enfant vs monde adulte médiation vs solitude rire, bonne santé vs pleurs, pathologie sérénité, contact, lien de parenté vs peur, distance voix clandestine vs voix claire et/ou silence buté |
Remarques.
Lors de la troisième entrevue avec Sybil, celle-ci revalorise la molécule 1, qu'elle dépréciait, globalement. Corrélativement, son anglicité citadine cesse d’être négative puisqu’elle a conscience de l’image qu’elle donne : "il se dit que je suis une névrosée des villes, que je ne comprends rien à la grandeur de la brousse et que, par snobisme et hystérie, je veux faire le malheur de Patricia." (II, 11)
D’autre part, la molécule 2 est revalorisée, hormis le racisme, in fine, où l’échec cognitif (annoncé par la tristesse initiale du regard animal non comprise par JE) devient réussite (tristesse comprise comme un nouveau départ).
On observe enfin que les évaluations restent conformes à la doxa : les bons sentiments sont valorisés, alors que sont punies la jalousie, la naïveté, l’irresponsabilité, celle en premier lieu de cet adulte qu’est John Bullit ayant été trop permissif avec sa fille.
Cette thématique révèle une axiologie dont les valeurs suivantes, préservées, empêchent le processus de dégradation de s’installer, mais non la fatalité du drame : l’étroite complicité au cœur de la vie sauvage, l’adoption des coutumes locales (relevant d'une adaptation vis-à-vis des Masaï, qui pourtant aboutit à la même dysphorie que le racisme à leur encontre), le sentiment d’appartenance familiale, la sincère relation affective, la protection de la vie animale, la complexité (cf. Patricia enfant déjà mère) masquée par une apparente simplicité. Surtout la profonde et silencieuse compréhension mutuelle, ayant lieu même entre la mère et la fille, lors de la séance photos sur King bébé (II, 3), toujours indexée à l’isotopie /cognition/ :
"Avaient-elles même conscience que tout le long de ce jour, elles avaient poursuivi un marché secret et subtil et négocié d’instinct une trêve, un compromis de bonheur ?"
La progression observée lors des deux dernières journées vers la spiritualité permet de conclure qu’un des thèmes narratifs - ou motifs - les plus valorisés est l’acquisition d’une sagesse. Or celle-ci évite deux écueils : la moralisation (en ne s'appesantissant pas sur les erreurs des acteurs ayant entraîné la mort tragique du roi King) et la séparation du décor, indexé à /sacralité/, car cet exotisme kenyan est à la base de la fascination poétique et magique. Les bêtes sauvages suscitent des sentiments (ce qui n'équivaut pas à la grossière humanisation de l’animal à la Buffon, selon qui "L’extérieur du lion ne dément point ses grandes qualités intérieures ; il a le regard assuré, la démarche fière, la voix terrible."), des sentiments chez les hommes qui les approchent ; c'est précisément ce qui fait d’elles bien plus qu’un simple ornement au service de la fable.
On peut néanmoins parler du récit positif d’un triple apprentissage :