II. Convergences & divergences

On se limitera au rapprochement avec un chapitre du roman précédent, en l’occurrence celui de l’apothéose, consacré à la première conjonction délicate entre JE, Patricia et King (II, 2).

Dans la nouvelle Vent de sable, cela correspond à la première conjonction de JE avec le danger aérien du désert.

La question implique l’identification du contenu commun aux deux épreuves, dont les thèmes génériques sont pourtant très différents :

Soit deux rencontres : terrestre en Afrique orientale, céleste en Afrique occidentale. Dans les deux cas, Kenya et Maroc ne sont que des étapes d’un long voyage.

La cause prévisible du danger est le risque que le lion échappe à la petite fille, prêt à bondir sur JE ; qu’une tempête de sable se déchaîne. Corpulence dérisoire de l’homme face au fauve dans un cas, de l’appareil face au éléments naturels dans l’autre, prêt à s’écraser avec JE.

Mais Patricia est un bon dompteur, et Mimile un pilote expert. La lutte pacifique que tous deux mènent, vis-à-vis des génériques /animal/ (terrestre) ou /inanimé/ (céleste) permet un processus final d’amélioration après une longue dégradation.

Lors du calme initial, le sème /duratif/ détermine une rencontre indexée à /singulatif/ :

Dans les deux cas, le futur agresseur possède un comparant poétique (flot, métal) :

La première vue de l’opposant laisse aussitôt la place à la modalisation subjective de JE, associée à l’euphorie initiale :

Dans les deux cas, percer les apparences est une nécessité pour JE.

Une autre différence est à souligner ; elle concerne la répartition temporelle d’un contenu essentiel à l’épreuve :

Bref, si la peur n’est pas située dans le même intervalle dialectique (T1 dans Le Lion, T2 dans Vent de sable), elle reste un thème essentiel commun aux deux textes.

De même que dans Le Lion se produisent de nombreux flash-back (récits de Bullit, notamment sur les cruelles chasses mythiques, et anecdote de JE au moment où il s’approche de King : "Je me souvins d’un dompteur de Bohême"), de même dans Vent de sable revient à l’esprit de l’aviateur son souhait initial d’un danger, ce qui le fait céder à "la superstition" quand se produit l’engorgement du moteur : "je crus que mon vœu avait déchaîné le vent du désert". Tout cela "composait une densité morale" qui, dans Le Lion, est aussi celle de JE, contracté et hésitant à toucher le fauve. L’irrationalité se manifeste aussi au début de la rencontre avec lui ("en cet instant, j’étais mal gardé par la raison") : "J’aperçus enfin, et dans le temps d’une seule clarté intérieure, toute la vérité : Patricia était folle et m’avait donné sa folie. Je ne sais quelle grâce la protégeait peut-être, mais pour moi […]"

Et pourtant se noue entre la bête et JE une amitié "dans un équilibre enchanté", ainsi indexée aux sèmes /harmonie/ + /magie/. L’irrationalité ici euphorique, atteint son paroxysme lorsque JE finit par lire dans les "yeux d’or" de King des sentiments "qui appartenaient à mon espèce" car "par l’intermédiaire, l’intercession de Patricia […] j’étais comme exorcisé d’une incompréhension et d’une terreur immémoriales."

On peut alors comparer les inversions évaluatives obtenues :

En outre, pour atteindre la paix de l’atterrissage de T3 ou le bien-être de T2, au terme desquels JE perçoit Mimile dans un "sentiment neuf", lequel modalise aussi la découverte du lion fascinant, le sème /itératif/ est très lexicalisé pendant la résistance aux spirales "meurtrières" ou à la peur du lion :

Il n’est pas sans intérêt d’observer que dans les deux cas, l’action extraordinaire, exceptionnelle, comme d’ailleurs les sentiments, sont indexés à l’isotopie /imperfectif/. Cette thématique est renforcée par la paire /continu/ + /intense/ de la "surface mystérieuse" qui englue : "Il n’y avait plus d’espoir d’y trouver un défaut."

Outre les hésitations, les incertitudes communes à JE-aviateur et JE-qui-apprivoise, tous deux sont menés par "l’instinct" – valorisé dans les deux textes : celui de se laisser guider par Patricia vers une vie étrange ; celui de rester concentré sur la cible aérienne.

Au terme de l’épreuve, les deux JE ont acquis un savoir, une certitude très personnelle, initiés par Patricia et Mimile. L’essentiel semble donc résider dans cette modalité épistémique (cf. Pottier, Théorie et analyse en linguistique, 1987, Hachette), lexicalisée par le thème /irrationnel/ de la superstition, de la folie, du mythe, de "l’état de transe", du "miracle", etc. Au vu de ces deux récits, la pleine compréhension est pour le narrateur un aboutissement, ce qui n’implique pas qu’elle se situe forcément dans le dernier intervalle dialectique. Elle s’effectue a posteriori.

Ajoutons que l’évolution cognitive se manifeste encore

Tous les points communs entre les deux textes abordés, d’ordre thématique, dialectique et dialogique convergent vers une conclusion peut-être évidente, mais que l’on entendait démontrer avec minutie : le récit d’aventures, en l’occurrence africaines, qu’il soit extrait de roman ou nouvelle intégrale, use de ce que l’on pourrait appeler une même esthétique du contenu ou style du signifié pour traiter des dangers (a) du contact avec la vie sauvage, (b) des machines de l’aéropostale.

Ces similitudes frappantes pourraient être rapportées à l’unité du tempérament de l’auteur. Evitant ce recours aux données extratextuelles et psychologiques, nous nous en sommes tenus aux mots et à leur contenu que construit intuitivement mais objectivement un lecteur.